Bruno Colmant

La gare du Midi : la mort à bas bruit ?

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

La gare du Midi, c’est la mauvaise conscience de la Belgique, pourtant considérée autrefois comme terre d’accueil par Karl Marx et Victor Hugo. Il y a des migrants en désespoir d’avenir, des drogués en désespoir de vie, des perdus en désespoir d’un chemin introuvable.

Et bientôt, il y aura tous les migrants masculins seuls, qu’une secrétaire d’État, confortée par notre Premier ministre, a décidé de jeter à la rue. Hé oui, nous sommes un des plus riches pays du monde, mais le gouvernement choisit de rejeter, en toute illégalité, les migrants masculins à la rue.

Bien sûr, c’est dangereux, ça sent mauvais, ça pue l’urine, mais surtout la mauvaise conscience.

Ça rappelle le parc Maximilien et des réfugiés irakiens et syriens. On se souvient de l’État défaillant et des particuliers qui se sont relayés jour et nuit pour les aider. On se souvient moins des horreurs, des violences et de la prostitution.

Après tout, en juillet 1938, lors de la conférence d’Évian destinée à venir en aide aux réfugiés juifs allemands et autrichiens fuyant le nazisme, peu après l’Anschluss, la Belgique dit qu’elle ne disposait pas… d’espace (je devrais écrire d’espoir) disponible.

Ça va bientôt nous apprendre qu’à force de ne pas aborder une réalité dans la solidarité, cette dernière va s’imposer, avec plus de force, lorsque Marine Le Pen, peut-être un jour Présidente française, va fermer les frontières, avec un point d’entrée qui sera la Belgique.

Alors, on appelle la police, on nettoie, on emprisonne, on expulse. Une opération « coup de poing », et passe à autre chose. Quelques interventions médiatiques, et c’est la fin de l’été.

Circulez, bonnes gens, il n’y a rien à voir. Mais si, il y a tout à voir, car on ne peut pas distraitement s’émouvoir des milliers de personnes qui fuient leur misère et meurent noyés dans la méditerranée, et se limiter à demander à vider une gare d’êtres humains perdus. Après les migrants battus, refoulés et tués ? Les femmes et filles violées ? Ce qui, il y a trente ans, était un motif de révolte s’est transformé en réalité banale : la plus grande pauvreté, avec ses rixes de SDF, frôle, avec résignation, la richesse promise par Euro millions. Des mondes incompris s’effleurent avec des yeux morts. Dans le monde d’en bas, les rames de métro aspirent les derniers souffles de vie.

Certains responsables politiques instrumentalisent la détresse humaine et prônent des mesures purement sécuritaires, jouant sur l’émotion de leur électorat qui, en réalité, n’est pas directement touché par cette situation. Cette approche, imprégnée d’une fausse virilité et d’une testostérone déplacée, n’offre aucune solution durable. Il ne fait pas confondre les causes et les symptômes. Et croire qu’une réponse sécuritaire et des postures suprématistes vont apporter une solution. Mais, c’est vrai, c’est plus facile. Ça donne l’impression de la purification. Dans l’esprit de Sarkozy, on passe au kärcher.

De nombreuses villes, comme Berlin dans les années 70, juste à côté de chez nous, ont traversé de profondes crises extrêmement graves, dont celle de la drogue. J’appartiens à la génération qui a lu « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… » en 1983. Ce livre m’avait bouleversé. Et puis, j’avais aussi lu « Il n’y a pas de drogués heureux », écrit par le docteur Claude Olievenstein, né, lui aussi en Allemagne, en 1933, et écrit en 1977. Ce livre a brûlé au fer rouge ma génération. Ces deux essais nous ont ouvert les yeux, sauf ceux de deux de mes amis, tombés dans l’héroïne dans les années septante. Je ne sais pas s’ils sont encore vivants.

Alors, j’ai une conviction. Quelque chose ne fonctionne plus du tout dans nos communautés. C’est notre manque d’humanité et de solidarité. La véritable solution réside dans l’aide sociale, l’accompagnement, le soutien médical, l’accueil et, effectivement, la générosité. Les jeunes nous le rappellent tous les jours. Et moi, j’entretiens la reconnaissance à mon pays qui a accueilli mon aïeul qui fuyait la Moravie où il était persécuté.  

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