La France, ce grand voisin un peu bruyant que l’on observe souvent avec un mélange d’amusement et d’agacement, vit aujourd’hui un drame politique qui ne devrait pas nous faire sourire. À moins d’un miracle, le plan audacieux du Premier ministre, François Bayrou, pour juguler le déficit public – un effort de 43,8 milliards d’euros, soit 1,5% du PIB, mêlant coupes budgétaires (30 milliards) et hausses fiscales (13,8 milliards) – va s’écraser lundi prochain contre le mur de l’Assemblée nationale, qui n’accordera pas la confiance à son gouvernement. François Bayrou, pourtant, a pris ce “pari risqué, mais nécessaire” pour éviter le “chaos” financier, pointant du doigt une dette publique écrasante de 3.000 milliards d’euros (114% du PIB) et des taux qui frétillent : le taux à 10 ans français dépasse désormais 3,5%, contre 2,75% pour le taux allemand.
Ce n’est pas juste une tragédie française : c’est un miroir tendu à la Belgique, dont la situation budgétaire est très semblable. La France affiche un déficit public de 5,4% du PIB en 2025, la Belgique 4,9%. La dette publique est de 114% en France, 107% en Belgique. Les deux pays sont englués dans une spirale de déficits chroniques, alimentée par des causes très similaires : une productivité en berne, un taux d’emploi médiocre, des structures administratives dignes d’une lasagne bureaucratique – oui, même en France, avec ses régions, départements et agences à foison – et un vieillissement démographique qui fait exploser les coûts des retraites et des soins de santé. Ajoutez à cela une bonne dose de lâcheté politique : la France n’a pas respecté le seuil des 3% de déficit depuis 2002, sauf en 2017 et 2018. Et les dérapages sont rapides : en 2000, la dette française pesait encore moins de 60% du PIB.
Ce drame budgétaire doit nous interpeller. D’abord, parce que la France est notre troisième partenaire commercial – un effondrement économique là-bas aurait des répercussions directes ici. Mais surtout, les remèdes proposés par François Bayrou offrent un aperçu de ce qui nous attend. Pour ramener notre déficit sous 3% d’ici 2032, il faudra, selon le Bureau du Plan, un effort structurel de 10 à 13 milliards d’euros par an, soit 70 à 90 milliards cumulés sur sept ans. C’est donc bien plus que le plan de 25 milliards (sur quatre ans) présenté par le gouvernement De Wever. Pourquoi ? Parce que le Bureau du Plan anticipe une croissance molle et une pression croissante du vieillissement, qui gonflera les dépenses sociales.
Le plan de François Bayrou – abolir deux jours fériés comme le 8 mai ou le lundi de Pentecôte, geler les dépenses sociales, taxer davantage les hauts revenus – peut sembler radical, mais il est proportionnellement proche de ce que la Belgique devrait envisager. Appliqué à notre PIB, qui est plus modeste (environ 20% de celui de la France), cela équivaudrait à un effort de 9,2 milliards d’euros : 6,2 milliards de coupes et 3 milliards de nouveaux impôts. Pas si loin des 10 à 13 milliards annuels préconisés par le Bureau du Plan donc, qui insiste sur l’urgence des réformes structurelles : relever l’âge de la retraite à 68 ans, limiter l’indexation automatique des salaires, rationaliser la santé et les administrations régionales.
Le plan de Bayrou peut sembler radical, mais il est proche de ce que la Belgique devrait envisager.
Ce n’est pas glamour, et ça ne gagnera pas de votes. Mais l’alternative – une dette à 120% du PIB d’ici 2032 – menace la souveraineté économique et la capacité à financer nos ambitions, de la transition verte à la défense. Ce qui se joue à Paris n’est pas un simple psychodrame, c’est une leçon d’économie politique : reporter les réformes, c’est creuser un déficit dont on ne se remet que très difficilement. La Belgique, avec son fédéralisme complexe et ses compromis mous, risque de suivre la même pente glissante si elle n’écoute pas les gazouillis angoissés du canari français dans la mine budgétaire.