Paul Vacca

La déflagration magique du « Barbenheimer »

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

“Barbie” et “Oppenheimer”, nouveau filon? Leur étonnant succès au box-office semble marquer le retour du “film d’auteur grand public”.

La déflagration a eu lieu le 21 juillet 2023, en plein cœur de l’été, avec la sortie simultanée dans le monde de deux films : Barbie de Greta Grewig et Oppenheimer de Christopher Nolan. Cette déflagration a été baptisée « Barbenheimer », de la contraction des deux titres. Deux films qui n’ont absolument rien à voir. D’un côté, une production aux 50 nuances de rose avec une poupée pop et flashy. De l’autre, un biopic en partie en noir et blanc sur la genèse de la bombe atomique où il est entre autres question de physique quantique. Difficile de faire plus différent…

Pour autant, programmer le même jour deux films totalement dissemblables n’a en soi rien d’exceptionnel. Il s’agit même d’une pratique courante des studios que l’on appelle la “contre-programmation”. Celle-ci vise à sortir des films très différents pour qu’ils ne se disputent pas le même public.

Parfait oxymore

Ainsi, il est fréquent qu’un film d’action “testostéroné” sorte en même temps qu’une comédie romantique ou bien qu’un drame passionnel pour adultes cohabite avec un long métrage d’animation. On évite ainsi que des succès annoncés se cannibalisent, ce qui n’est bon pour personne.

Mais dans le cas du “Barbenheimer”, cette contre-programmation a produit quelque chose d’inédit: les deux films se sont mutuellement renforcés (certains spectateurs allant même les voir le même jour), faisant exploser leurs box-offices respectifs. Barbie pourrait ainsi raisonnablement dépasser 1,3 milliard de dollars de recettes mondiales et Oppenheimer les 700 millions, pour des budgets respectivement de 150 millions et 100 millions.

Ces deux films, au lieu de créer une fission de leurs publics, les ont en partie fait fusionner. Ainsi, le terme “Barbenheimer” incarne-t-il ce que l’on appelle en rhétorique un oxymore, la figure de style qui accouple deux termes contraires pour créer une réalité supérieure. La « folle sagesse », « l’obscure clarté » ou le silence assourdissant. Jusqu’à créer une « déflagration magique ».

Magique, car le phénomène “Barbenheimer” est une pure création des réseaux sociaux qui ont spontanément créé de fausses affiches et même de fausses bandes-annonces. Il n’a pas été planifié par les équipes marketing des films. On raconte même, au contraire, que Warner aurait eu l’intention de programmer Barbie afin de torpiller Oppenheimer et se venger de Christopher Nolan qui a quitté le studio pour rejoindre Universal. C’est pourtant l’inverse qui s’est passé.

Signal encourageant ?

Alors que l’industrie du cinéma subit une crise existentielle et une grève des scénaristes, rejoints désormais par les acteurs, l’explosion simultanée au box-office de ces deux films pourrait être un signal encourageant pour le futur. La preuve qu’il existe, malgré le développement de l’offre sur les plateformes de streaming, une attente du public pour des événements cinématographiques. Mais certainement d’une autre nature.

Le “Barbenheimer” pourrait provoquer une réaction en chaîne dans l’industrie cinématographique. Car au-delà de leur différence radicale, ces deux films ont quelque chose en commun. Ce sont des films uniques (ce que l’on appelle des prototypes) à rebours des suites sans fin, des franchises et autres univers cinématographiques formatés proposés ces dernières années par les studios.

Uniques, ils le sont en outre parce qu’ils parviennent avec virtuosité à faire fusionner les exigences du grand spectacle d’aujourd’hui avec une vision et un style personnels très affirmés. Ils sont donc tout deux – et chacun à sa manière – des « films d’auteur grand public ». Un oxymore qui pourrait avoir de l’avenir à Hollywood.

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