Bruno Colmant
La clé pour comprendre les Américains
Les milieux d’affaires européens peinent à décrypter les actions de Donald Trump, souvent perçues comme imprévisibles ou irrationnelles.
Pourtant, cette incompréhension dépasse la seule figure de Trump et repose sur une méconnaissance d’aspects fondamentaux des États-Unis, qui ne se révèlent pleinement qu’à ceux ayant vécu ou étudié ce pays en profondeur. Ces éléments — une pensée inductive et une stratégie d’essais et erreurs — éclairent pourquoi nos grilles de lecture européennes échouent souvent à saisir la dynamique américaine.
Une pensée inductive face à la déduction européenne
Les Européens abordent les problèmes avec une logique déductive, cherchant à appliquer des principes généraux ou des cadres préétablis, comme des codes juridiques ou des théories abstraites. Les Américains, en revanche, privilégient une approche inductive, partant de l’observation des faits pour construire des solutions adaptées. Cette mentalité, profondément enracinée dans la culture protestante, valorise l’expérimentation et le pragmatisme.
Dans tous les domaines — juridique, commercial, politique ou même technologique —, les Américains progressent par essais et erreurs. Par exemple, dans le système judiciaire, les litiges se règlent fréquemment par des arbitrages ou des négociations, évitant l’application rigide d’un code civil, inexistant aux États-Unis. Une fois un problème résolu, l’amélioration continue reste la norme, sans jamais considérer une solution comme définitive. Cette approche, qui peut sembler chaotique aux esprits déductifs européens, habitués à l’ordre et à la prévisibilité, reflète une tolérance à l’incertitude et une capacité d’adaptation qui caractérisent la société américaine.
Le calvinisme et l’obligation de s’enrichir
L’approche inductive des Américains trouve une de ses origines dans le calvinisme, une branche du protestantisme qui a profondément marqué la culture des États-Unis, particulièrement à leurs débuts. Selon la doctrine calviniste, la prédestination implique que Dieu a déjà choisi les élus, mais les signes de cette élection divine se manifestent dans le monde matériel, notamment par la réussite et la prospérité. Ainsi, s’enrichir et réussir par le travail acharné devient une obligation morale, une preuve tangible de la faveur divine.
Cette croyance a façonné une mentalité où l’expérimentation constante et l’innovation sont des vertus, car elles permettent d’accumuler des succès concrets. Par exemple, l’essor des entrepreneurs comme Henry Ford ou, plus récemment, Elon Musk, illustre cette quête d’amélioration par essais et erreurs, où chaque échec est perçu comme une étape vers un succès ultérieur. Cette dynamique, étrangère à la pensée européenne souvent plus statique, explique pourquoi les Américains valorisent l’action immédiate et les résultats mesurables, même au prix d’un apparent désordre.
La stratégie inductive de Trump
Dans ce cadre, la stratégie de Donald Trump s’inscrit pleinement dans la logique inductive américaine. Avec ses équipes, il adopte une approche de rupture, secouant les structures établies — qu’il s’agisse des accords commerciaux, des normes politiques ou des relations internationales — pour tester de nouvelles configurations et identifier des solutions optimales, même éphémères. Ce que les Européens qualifient d’erratique ou de « fou » reflète en réalité une méthode pragmatique, où la fragmentation et le chaos contrôlé sont des outils pour atteindre un objectif. Une citation attribuée, peut-être à tort, à Sophocle, résonne ici : « Jupiter rend fous ceux qu’il veut détruire » (« Quos Jupiter vult perdere, dementat prius »). Cette apparente irrationalité, vue à travers notre prisme déductif, masque une logique cohérente avec la culture inductive américaine, où l’expérimentation prime sur la planification rigide.
Ces deux éléments — une pensée inductive nourrie par le calvinisme, une stratégie d’essais et erreurs incarnée par des figures comme Trump — expliquent pourquoi les Européens peinent à comprendre les États-Unis. Nos cadres déductifs, hérités de traditions juridiques et philosophiques anciennes, s’accommodent mal de cette culture du mouvement perpétuel et de l’expérimentation.
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