Rudy Aernoudt
La Chine, une société sous surveillance
J’ai pu le vérifier lors d’un récent voyage : la Chine est devenue une société de plus en plus surveillée. En déambulant dans les rues, on est d’abord surpris de voir des caméras partout, mais vraiment partout. Pas une seule, mais des milliers. Au bout de quelques jours, on n’y prête même plus attention. En visitant Dahua Technology, l’une des deux plus grandes entreprises chinoises de caméras, nous constatons que la surveillance par caméra est effectivement un business important. L’entreprise connaît une croissance de 45 % par an depuis dix ans. Son chiffre d’affaires s’élève à 4,5 milliards d’euros.
Lorsque nous évoquons le fait que la surveillance permanente est étouffante et qu’elle porte atteinte à la vie privée, nos interlocuteurs s’empressent de mettre en avant les avantages du système. Par exemple, les enfants ou les chiens perdus sont retrouvés en un rien de temps. Dans les salles de classe, les professeurs peuvent surveiller en permanence ce que font leurs étudiants. Un autre avantage du système est qu’avec le passeport en poche et la reconnaissance faciale, vous accédez très facilement aux trains, aux métros, aux musées, etc. sans devoir être muni d’un billet numérique. Cela permet notamment de réduire les files d’attente à un minimum absolu.
Pourtant, il est toujours oppressant de savoir que l’on est entouré de 700 millions de caméras publiques. Ceux qui ignorent les feux rouges pour piétons sont immédiatement confrontés à une photo d’eux sur un grand écran avant même d’arriver de l’autre côté du passage. Les conducteurs qui klaxonnent sont automatiquement verbalisés et trois contraventions entraînent le retrait du permis de conduire. Même le “célèbre” Chinois qui crache en a fait les frais, car des contraventions sont également dressées pour ce type d’incivilités. Fumer en rue est également sanctionné par des contraventions.
La conséquence positive de cette société de la contravention est que les villes sont vertes, sentent bon, sont propres et sont étonnamment silencieuses… En partie grâce aux voitures électriques, ce qui contraste fortement avec ce que j’avais pu voir voici 10 ans lors d’une mission princière.
La conséquence positive de cette société de la contravention est que les villes sont vertes, sentent bon, sont propres.
Dans le domaine des droits de propriété intellectuelle (DPI), des lois strictes ont également été adoptées. Alors que la Chine avait la réputation de ne pas respecter les droits de propriété intellectuelle, la situation a changé. Elle veut clairement se débarrasser de l’adage “l’Europe invente, les États-Unis innovent et la Chine imite”. Ceux qui ne respectent pas les DPI seront condamnés par des tribunaux spécialement créés à cet effet. La Chambre de commerce européenne en Chine confirme que les réglementations en la matière sont parfaites et garantissent une protection totale. Mais la mise en œuvre est importante. L’argument selon lequel les Chinois volent les idées ne peut donc plus servir d’alibi. Et avec la nouvelle loi sur les sociétés de 2023, les coentreprises sont de nouveau très demandées, car les actionnaires minoritaires sont beaucoup mieux protégés. En effet, même les dirigeants peuvent être mis en cause.
La Chine est en train de se transformer en une société où tout est régi par des règles et des lois et où un immense contrôle à l’aide de caméras permet de s’assurer que personne n’enfreint ces lois. Pour les entreprises, c’est rassurant car elles disposent ainsi d’un cadre juridique stable et doivent s’inquiéter beaucoup moins qu’avant du vol de leurs créations intellectuelles. Le prix à payer pour tout cela est une sorte de meilleur État du monde où les gens sont traités comme des marionnettes. Mais c’est peut-être la seule façon de gouverner un pays comptant 1,3 milliard d’habitants.
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