Amid Faljaoui

La brique belge et les pompiers pyromanes

Il parait qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Si c’est vrai, il faut féliciter d’urgence les dirigeants de notre Banque Nationale (BNB).

Dans leur dernier rapport sur la stabilité financière de la Belgique, les dirigeants de la BNB préconisent et incitent même les banques belges à ne plus se montrer timides et à ne pas hésiter à proposer des crédits hypothécaires à plus de 20 ans. La demande est évidente. Comme les taux d’intérêt sont plus élevés aujourd’hui qu’hier, et que les prix de l’immobilier restent encore élevés, toute une frange de la population, dont la jeunesse (ceux et celles qui n’ont pas de parents assez fortunés pour leur donner un coup de pouce), se retrouve interdite d’accès à la propriété immobilière. La Banque Nationale jusqu’à présent ne poussait pas à ce que les banques belges prêtent au-delà de 20 ans, car les taux d’intérêt étaient bas. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas, d’où ce changement de discours pour inciter les banques à, en quelque sorte, jouer un rôle social vu qu’en allongeant la durée des prêts hypothécaires, on diminue du même coût la mensualité à payer par ces jeunes ménages en désir d’achat immobilier.

Dit comme ça, on ne peut qu’applaudir. En réalité, et c’est mon côté piquant qui ressort, je me pose plusieurs questions. La plupart des couples qui veulent acheter se posent la question de la durée du prêt hypothécaire : est-ce 15 ans, 20 ans ou demain 25 ou 30 ans, voire 40 ans comme c’était le cas en Suisse ? Je me pose la question de l’utilité de cette question, car c’est bien connu des banquiers, cette question est en partie bidon, car la moyenne réelle des prêts hypothécaires est de l’ordre de 7 ans. Notamment à cause des divorces qui sont hélas en hausse. Surtout en Belgique où nous avons l’un des taux les plus élevés d’Europe. La deuxième est d’ordre philosophique. Certains penseurs estiment, à tort ou à raison, que le nouvel esclavagisme aujourd’hui, c’est le salariat combiné aux embouteillages. D’autres ajouteront que le remboursement d’un prêt hypothécaire est le meilleur garant pour une société d’avoir une paix sociale forcée, parce que les personnes endettées ne font pas de vague, pas de révolution. Je crois que c’est sans doute exagéré. L’âge médian en Belgique est trop élevé, et chacun sait que les révolutions sont le fait de populations jeunes. Et puis les révolutionnaires aiment défiler et battre le pavé, mais seulement voilà : la pluie est contre révolutionnaire comme l’écrivait joliment Jean-Claude Brisville dans sa magnifique pièce de théâtre Le Souper. Et en Belgique, il pleut plus souvent qu’ailleurs. Exit donc la révolution sociale pour la brique.

Pourtant, cet aveu de la Banque Nationale qui incite nos banques à proposer des prêts hypothécaires à plus longue durée est au fond un constat d’échec. Cela revient à dire que faute de logements abordables et verts, on condamne la jeunesse à rester endettée plus longtemps. Certes le nœud coulant est moins serré, car la mensualité sera plus faible, mais ce nœud coulant sera porté plus longtemps. Pourtant, on l’a répété ici maintes fois, les solutions existent. Nous savons construire du logement depuis le temps des pyramides et ce qu’il faut – pas de mon avis, mais de l’avis des spécialistes – c’est densifier les villes intelligemment. C’est d’ailleurs l’une des manières de diminuer la pollution, mais aussi de forcer nos édiles communaux à délivrer des permis de bâtir plus vite qu’ils ne le font depuis des années. Autrement dit, les politiques nous parlent de tout sauf de cette bombe sociale qu’est le logement, et ils fustigent ce manque de logement disponible alors qu’ils y contribuent en partie par leur apathie à délivrer des permis de bâtir. C’est l’histoire du pompier pyromane.

Mais quand on y regarde de près, les nouvelles économiques ne sont pas aussi mauvaises que cela. Malgré le covid, malgré l’Ukraine, nous résistons pas mal, nos entreprises tiennent le coup et pourtant, la population est de mauvaise humeur. Ce contraste pourrait s’expliquer par le logement, car comme le faisait remarquer Robin Rivaton, un spécialiste de la matière, « les gains de pouvoir d’achat sont vite mangés par la hausse des loyers et des prix ».

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