Paul Vacca
La banalité magique des films de Noël
Même si vous êtes intimement persuadé d’avoir trouvé une idée de fiction totalement inédite et “jamais vue”, ne la pitchez surtout pas comme telle à un producteur. Au lieu de l’appâter, vous le ferez fuir. Vous verrez son regard de professionnel accuser la déception, continuant de hocher la tête en vous écoutant sans conviction, dans l’attente du moment propice où il pourra glisser son refus poli.
De deux choses l’une : soit il sera déçu, car votre histoire ne se révélera peut-être pas si inédite ; soit ce sera en effet du “jamais vu”, qui le décevra tout autant, car il y a toujours une bonne raison pour qu’une telle histoire n’ait jamais été racontée. Comme le dit le comique Jerry Seinfeld : “Parfois, le chemin le moins fréquenté l’est pour une bonne raison”.
Lui proposer quelque chose de connu et banal vous ouvrira peut-être une route plus fiable. Et s’il y en a une particulièrement fréquentée à cette période de l’année, c’est bien celle des films de Noël ou “Hallmark movies” comme les appellent les Anglo-Saxons. Une nouvelle fournée, riche d’une bonne centaine de fictions, est arrivée au cinéma, sur les chaînes classiques, sur les plateformes de streaming ou encore sur Hallmark Channel TV, la chaîne créée par le fabricant de cartes de vœux éponyme.
Le New York Times s’est d’ailleurs infligé la peine de décrypter les intrigues de 424 fictions de Noël et, sans surprise, on apprend ce dont on se doutait déjà : leurs histoires répondent à une formule aussi immuable que celle du Coca-Cola. À Noël, une femme citadine et ambitieuse se rend dans un bled et rencontre une personne du cru à qui tout l’oppose. Pour le sauvetage d’une activité en danger, un spectacle est organisé et, finalement, contre toute attente, elle décide de s’installer dans la petite ville. Et à la fin (attention spoiler !), les deux s’embrassent.
Il y a un je-ne-sais-quoi de rassurant dans la parfaite prévisibilité des intrigues des films de Noël, un rituel apaisant à la manière d’un feu qui crépite dans la cheminée.
À quoi tient cet appétit pour des fictions aussi prévisibles ? Peut-être parce que, surtout à cette période de l’année, flattent-elles notre penchant naturel pour la répétition. Peut-être réveillent-elles ce côté régressivement jouissif et enfantin qui sommeille en chacun de nous. Car, en réalité, nous les regardons précisément parce que nous savons exactement ce qui va se passer.
Il y a un je-ne-sais-quoi de rassurant dans la parfaite prévisibilité des intrigues, un rituel apaisant à la manière d’un feu qui crépite dans la cheminée ou de la ritournelle d’une boîte à musique. C’est également le format idéal pour une vision distraite – entre deux notifications de son smartphone ou un assoupissement entre deux rebondissements, tout en étant sûr de ne rien perdre à la compréhension de l’intrigue. C’est enfin un genre parfait pour être regardé en groupe ou en famille à cette période de l’année. Un peu comme un jeu de société dont tout le monde connaît les règles et peut y aller de son commentaire.
Toutefois, il serait faux de dire que rien n’a changé. Depuis l’établissement du genre comme fiction consolatoire après la Seconde Guerre mondiale, un ingrédient s’est invité : le second degré. À l’ère du streaming, l’ironie est la poudre magique qui transforme la banalité en connivence, rendant acceptable le plaisir coupable. Comme dans Mon bel homme de neige (Hot Frosty en VO), par exemple, visible sur Netflix, où tout signale le second degré : un film de Noël qui joue au film de Noël. Et si, malgré cela, au détour d’une scène, votre regard s’embue, vous pourrez toujours dire que vous pleurez de rire.
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