L’ “homo fortunatus” et l’impôt

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Paul Vacca
Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Si l’on s’accorde à reconnaître que “trop d’impôt tue l’impôt”, alors pourquoi ne pas admettre comme vraie sa réciproque, à savoir que “moins d’impôt profite à l’impôt” ? C’est très schématiquement l’hypothèse que propose Thierry Madiès, professeur au département d’économie politique à l’Université de Fribourg, en Suisse, dans un article fort intéressant sur le site de The Conversation : “Le paradoxe de l’opulence : quand payer plus d’impôts devient un choix”. L’auteur y traite de la question qui revient en force dans l’actualité alors que les États (et surtout la France) font face à des déficits colossaux : l’idée d’une imposition supplémentaire des super-riches.

Si, sur le principe, taxer davantage les plus fortunés pourrait se révéler utile, Thierry Madiès souligne que dans les faits, hélas, il est à prévoir que les recettes fiscales supplémentaires escomptées seraient plus faibles, compte tenu de la concurrence fiscale internationale. Bref, l’idée d’une contribution supplémentaire des super-riches risque de se révéler in fine plus symbolique qu’efficace.

Alors que faire pour réduire la dette, financer la transition écologique ou améliorer les services publics ? Thierry Madiès propose une autre voie pour espérer capter ce bonus fiscal auprès des tranches les plus aisées de la population : opter pour le principe d’une contribution volontaire plutôt que de brandir un nouvel impôt obligatoire. Puisque le bâton ne marche pas, pourquoi ne pas tenter la carotte ? L’homo fortunatus – même avec un compte en banque qui compte quelques zéros supplémentaires – n’est-il pas finalement un homo sapiens comme les autres ? Lui aussi réagit à des stimuli qui ne sont pas uniquement économiques ou rationnels.

Madiès propose par exemple de jouer sur le sentiment de responsabilité de l’homo fortunatus en lui proposant d’affecter le surplus consenti à des dépenses ciblées et de bien commun comme l’éducation, la transition écologique ou la santé. Selon l’auteur, faire appel à la participation permettrait d’augmenter les recettes, tout en renforçant le lien entre les super-riches et les projets publics prioritaires, créant ainsi une société moins polarisée.

Puisque le bâton ne marche pas, pourquoi ne pas tenter la carotte ?

L’autre approche positive envisagée : stimuler l’esprit de compétitivité des super-riches. À travers un mécanisme de gamification, faire naître une émulation qui verrait les plus aisés rivaliser sur l’ampleur de leur contribution fiscale volontaire comme ils peuvent le faire avec la longueur de leurs yachts. Stimuler ainsi une concurrence vertueuse pour le bien commun où le surplus d’impôt payé se mue pour le donateur en un gain de pouvoir symbolique.

Finalement, Madiès propose une forme de “nudge” appliqué à l’impôt. Un appel à l’esprit de générosité, de responsabilité et à l’éclat symbolique via un coup de pouce et non par la coercition. Certains pourront trouver cette proposition un brin irréaliste ou idéaliste. Pourtant, sur le fond, elle ne l’est absolument pas puisque ce mécanisme existe déjà bel et bien : il s’appelle la philanthropie.

Toutefois, note l’auteur, l’avantage de sa démarche par rapport à la philanthropie, c’est que le fléchage de l’impôt ne correspondrait pas aux seules préférences des plus riches, mais à celles de la société tout entière. Certes, mais comment ignorer que la philanthropie moderne s’est en grande partie construite contre l’impôt et sa prétendue inefficacité ? Dès lors, le défi pour une telle approche ne sera donc pas tant de parvenir à susciter l’esprit de générosité et de responsabilité chez l’homo fortunatus que créer le climat de confiance nécessaire pour qu’il s’exprime par le biais de l’impôt. Ce n’est pas irréaliste, mais il y a quand même du boulot.

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