Bruno Colmant

Intelligence artificielle : quand 2043 devient 2023

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

J’ai été sidéré lors d’une récente discussion avec le professeur Laurent Alexandre, dont les compétences de la futurologie ne sont plus à démontrer. Il me disait que ce qui était prévu pour 2040 ou même 2060 arrivait cette année. Le futur, ou plutôt la stabilité du futur s’effiloche.

L’intelligence artificielle est d’une importance équivalente à celle du développement de l’agriculture organisée et de la première révolution industrielle, celle de la machine à vapeur de Watt à la fin du XVIIIᵉ siècle. Cependant, alors que les précédentes révolutions industrielles ont permis de démultiplier la force humaine grâce aux animaux ou aux machines, aujourd’hui, c’est la force cognitive qui sera magnifiée et sublimée. Dans un contexte où l’on sait que nous n’utilisons que 5 à 10 % de nos capacités cognitives, cela va provoquer des répercussions majeures — et je mets de côté les aspects.

Cela va engendrer une réflexion sur la valeur du travail. Surtout, du point de vue économique, et c’est ce qui va assaillir nos sociétés assez rapidement, sur le partage des gains de productivité. Parce que ces gains de productivité constituent le point de tension entre le capital et le travail. À partir du moment où la révolution industrielle liée à l’intelligence artificielle est mise en œuvre par le capital, cela signifie que les gains de productivité qui en découlent pourraient être accaparés par le capital au détriment du travail. Cela pourrait conduire à l’automatisation de tous les métiers qui peuvent l’être — à mon avis, cela touchera directement ou indirectement 20 à 25 % de la population active mondiale. Des pans entiers de la population vont se retrouver sans valeur ajoutée. Même si certains métiers vont être revalorisés comme les métiers manuels.

L’intelligence artificielle est donc en train de redéfinir le paysage de la productivité en entreprise. À mesure que les technologies de l’intelligence artificielle deviennent plus sophistiquées, leur application à divers processus de travail entraîne une augmentation de la productivité et de l’efficacité. Mais cette tendance suscite également une inquiétude croissante selon laquelle l’intelligence artificielle pourrait absorber une partie des gains de productivité aux dépens des travailleurs.

Ceci ramène à deux sujets : la taxe Sismondi et la contribution des machines, et plus largement, des revenus du capital, au financement de la Sécurité sociale. L’économiste suisse Sismondi (1773-1842) avait suggéré à l’époque de la révolution du textile, au début du XIXᵉ siècle, que si un travailleur est remplacé par une machine — à l’époque les métiers à tisser — on devrait donner à ce travailleur une rente à vie, qui est la contrepartie du fait qu’une machine effectue son travail.

Nous allons devoir complètement réviser le contrat social et fiscal, dans la mesure où le prélèvement fiscal ou parafiscal sur le travail va devoir mener à la taxation du capital qui aura accaparé une partie des gains de productivité.

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