Rudy Aernoudt

Industrie automobile en Belgique et géopolitique

Chaque fois qu’une entreprise automobile ferme ses portes en Belgique, c’est la panique à bord. C’est encore le cas avec les vicissitudes d’Audi.

Mais regardons un peu la situation dans son ensemble. Quel est le point commun entre Citroën, British Leyland, Ford, General Motors et Audi ? Ils ont tous assemblé des voitures en Belgique. Et ils ont tous abandonné.


L’industrie automobile est en fait un marché stable. Les gens remplacent leur voiture tous les cinq ans, les ventes sont donc garanties. Le marché mondial a même progressé de 8,7 % en 2023. Six marques automobiles assemblaient en Belgique. Jusqu’en 1994, la Belgique était le pays où le nombre de voitures assemblées par habitant était le plus élevé. Entre-temps, à l’exception de Volvo, les ateliers ont fermé leurs portes les uns après les autres. Aujourd’hui, seuls 5 % des Belges travaillent encore dans l’industrie automobile (avant la fermeture/restructuration d’Audi), contre une moyenne de 8,3 % en Europe.

L’une des principales raisons est que nous n’avons que des unités de production. Les centres de décision se trouvent dans d’autres pays. Si le siège français doit décider de fermer une usine Renault, en choisissant entre la France et la Belgique, ce ne sont pas les coûts de main-d’œuvre qui sont décisifs, mais des considérations géopolitiques.

La deuxième raison est le déplacement au sein de l’Europe. La région qui compte le plus d’assemblages par habitant est désormais la Slovaquie. Aujourd’hui, un Slovaque sur six travaille dans l’industrie automobile. Pour ceux qui pensent qu’il ne s’agit que d’une question de bas salaires, nous vous invitons à jeter un coup d’œil aux chiffres de productivité. Prenons l’exemple de l’entreprise Revoz, filiale à 100% de Renault. Elle emploie 1.400 personnes et 650 robots. Avec l’usine de Burso (Turquie), 1.400 Twingo sortent des chaînes par jour ! Ceux qui combinent des salaires bas (ou très bas) avec une productivité élevée gagnent naturellement la bataille de la concurrence. D’ailleurs, la Slovaquie n’est plus un pays à bas salaires dans la région. Le coût salarial horaire en Slovaquie est de 17,2 euros. C’est 56 % de plus que chez le “concurrent” roumain (11 euros/h). Bien sûr, cela reste incomparable avec la Belgique, où le coût est de 47 euros/h.

Pour ceux qui aiment les chiffres absolus, 77.000 Slovaques, 97.000 Hongrois, 163.000 Roumains, 175.000 Tchèques et 210.000 Polonais travaillent dans l’industrie automobile. Ces cinq pays d’Europe de l’Est représentent donc 720.000 emplois dans l’industrie automobile (environ 25 fois l’emploi dans l’industrie automobile en Belgique). Le premier mouvement s’opère donc au sein de l’Europe, où l’industrie automobile se déplace vers l’Est, dans les pays européens à bas salaires. Ces mêmes pays, soit dit en passant, reçoivent des subventions de l’Europe dans le cadre de la politique de cohésion.

Pour la troisième raison, regardons un peu plus loin. Il y a 15 ans, 31 % des voitures étaient assemblées en Europe. Aujourd’hui, seulement 19 % (chiffres 2022) le sont encore. Pour la Chine, c’est l’inverse. Il y a 15 ans, leur part de marché était de 13 %, aujourd’hui elle est de 34 %. Sachant que ce pays produit 77 % des batteries mondiales, contre 3 % pour l’Europe, on peut imaginer qu’avec l’introduction de la voiture électrique, cette tendance ne fera que s’accentuer.

Aussi mauvaise que soit la situation pour les travailleurs d’Audi (et auparavant pour ceux d’Opel, de Ford et de Renault), d’un point de vue géopolitique, cette tendance ne peut être stoppée. Au lieu de mener des combats d’arrière-garde, nous ferions mieux de nous concentrer sur les secteurs et sous-secteurs où nous avons un avenir.

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