Philippe Ledent

Handicap salarial et industrie belge : une menace imminente pour la croissance économique

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Alors que la plupart des économies de la zone euro ont déçu au troisième trimestre de cette année, la Belgique affiche une performance positivement surprenante. En effet, la première estimation de croissance du PIB dans la zone euro fait état d’une contraction de 0,1% par rapport au trimestre précédent alors que la Belgique affiche une croissance positive de 0,5%. Il faut ajouter que ce chiffre fait suite à une première partie d’année relativement solide pour l’économie belge. Dès lors, malgré un contexte économique peu porteur et les énormes chocs subis depuis presque quatre ans, l’économie belge avance à un rythme proche de son potentiel. Il faudrait apporter de nombreuses nuances à ce tableau plutôt positif. Intéressons-nous ici à l’une d’entre elles: l’inquiétante évolution de l’activité industrielle.

Peut-être est-il encore trop tôt pour associer la faiblesse actuelle de l’industrie belge au handicap salarial. Mais ce serait une grossière erreur que de le nier.

Certes, nous vivons dans une économie tertiarisée où l’industrie représente moins de 20% du PIB. On pourrait donc se dire que ce secteur n’a pas une importance capitale pour l’économie. La réalité est tout autre. Une part importante des secteurs de services sont liés de près à l’activité industrielle. On pense notamment au transport, à la logistique, mais aussi les services administratifs, comptables, juridiques, etc. Et la construction vit également des investissements dans le secteur industriel. Bref, l’industrie continue de jouer un rôle central dans les économies avancées. D’autant plus lorsqu’on est une petite économie très ouverte comme la Belgique. L’industrie est responsable de l’immense majorité des quelque 600 milliards d’euros d’exportations belges: 113 milliards de produits chimiques et plastiques, près de 100 milliards de produits pharmaceutiques ou encore plus de 50 milliards issus de l’industrie agroalimentaire. Et bien d’autres encore.

La santé de l’industrie est un déterminant crucial du développement économique du pays. Or, selon la première estimation de l’Institut des comptes nationaux, le volume d’activité de l’industrie se serait replié de 0,6% au troisième trimestre de l’année. Si ce chiffre est confirmé, cela représenterait le quatrième repli consécutif. Depuis le milieu de l’année 2022, l’industrie aurait perdu près de 4% de son activité.

La faiblesse actuelle de l’industrie s’explique probablement par trois facteurs. Primo, sur le plan international, on observe une fébrilité du secteur industriel liée à l’affaiblissement de la demande de biens et à un niveau très élevé des stocks dans les entreprises et auprès des détaillants. Cela ralentit la production de biens, en affectant au passage le commerce international. Secundo, l’industrie européenne souffre d’un manque de compétitivité sur les marchés mondiaux en raison des prix de l’énergie. Tertio, on doit s’interroger sur d’éventuels facteurs locaux. Depuis mi-2021, les salaires nominaux ont augmenté en Belgique de l’ordre de 15% en raison de l’indexation automatique des salaires. Dans les pays voisins, qui sont les principaux partenaires commerciaux de l’industrie exportatrice mais également les principaux concurrents, les salaires ont aussi augmenté mais dans des proportions bien moindres. Dès lors, en prenant comme mesure (imparfaite) de la compétitivité le coût du travail par unité produite, l’écart entre la Belgique et ses voisins est en train de se creuser.

Peut-être est-il encore trop tôt pour associer la faiblesse actuelle de l’industrie belge au handicap salarial. Mais ce serait une grossière erreur que de le nier car il risque de peser dans les prochaines années, alors même que l’industrie sera encore plus au cœur du développement économique.

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