Eddy Caekelberghs
Habemus papam: le choix d’un pape est éminemment politique
Élire et créer un pape n’est ni chose aisée, ni légère politiquement parlant. Et il faudrait être dupe pour ne pas remarquer combien cette fonction est aussi une opération géopolitique émanant des “grands électeurs” cardinalices qui donnent indication sur le monde tel qu’ils l’imaginent. C’est que, forte d’une communauté de croyants avoisinant le milliard et demi de fidèles dans le monde, l’église catholique (en stagnation en Occident) est en croissance continue sur le globe.
Lorsqu’en 1939, l’église élit en son conclave le plus court de l’histoire le diplomate curial Eugenio Pacelli (Pie XII) au trône de Pierre (le fameux “ministère pétrinien” évoqué en son temps par Benoît XVI), c’est une décision éminemment politique. Le défunt Pie XI avait fermement et publiquement dénoncé et mis en garde contre le fascisme et le nazisme dans une encyclique où il témoignait de son “souci brûlant”. Il s’agissait bel et bien par la suite pour Pie XII d’arrondir diplomatiquement le propos pour préserver la communauté catholique allemande de toute vengeance hitlérienne. Cela donnera les silences (coupables) d’un Vatican trop timide, voire timoré, devant la Shoah. Ce fut reproché.
Puis il y a un autre diplomate, ancien nonce en Turquie, qui prend les rênes pour ce que l’on prend pour un règne de transition. Sans bouleversements à attendre. Et c’est Jean XXIII, le pape qui convoque carrément un concile œcuménique, rien moins !
Et que dire alors de la désignation de Karol Wojtyla, devenu Jean-Paul II. Le premier pape polonais. Donc, en son temps, un pape venu de l’autre côté du rideau de fer, du bloc de l’Est sous influence encore soviétique. Son entregent et sa détermination à faire chuter le communisme soviétique était une option connue des pères cardinaux. Son élection au trône ne doit donc rien au hasard des temps mais bien au momentum géopolitique de l’époque. Aux états-Unis, le nouveau président Ronald Reagan est habité du même espoir de faire plier, puis tomber le pouvoir à Moscou. à deux, ils y arriveront par des moyens et actes conjoints.
Avoir choisi le premier pape venu du Sud global en la personne de Jorge Mario Bergoglio (François) était carrément un acte politique assumé. L’épicentre de l’église s’est déplacé sur le planisphère. Assumer un homme qui se réconcilie avec la théologie de la libération est un acte politique ET spirituel.
Le choix du successeur de François sera éminemment politique et stratégique.
Demain, il en ira de même. Le choix du successeur sera éminemment politique et stratégique. Les cardinaux électeurs sont aux deux tiers des cardinaux créés par François. On peut donc gager qu’ils partagent une grosse partie de sa vision ecclésiale. Écologie sociale, dimension moins inégalitaire du monde : voilà quelques points que ce successeur aura sans doute à cœur. Sera-ce via le sens feutré diplomatique d’un Pietro Parolin, l’actuel numéro 2 sortant du pontificat et italien (ce qui rassurera ceux qui regrettent que depuis 50 ans le trône leur ait échappé) ? Sera-ce via le patriarche latin de Jérusalem avec toute la charge du contexte régional ? Sera-ce un pape venu d’Afrique ou d’Asie comme le cardinal Turkson ou le cardinal Tagle ?
Quel que soit le choix que poseront les 135 cardinaux électeurs, il sera scruté et analysé dans toutes les capitales et chancelleries. Ne fût-ce que parce que le plus petit état du monde – le Vatican et son Saint-Siège apostolique romain – possède le plus vaste et le plus dense réseau diplomatique, les nonces apostoliques. De valeurs inégales mais constituant la plus vaste agence de renseignements planétaire.
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