Amid Faljaoui
Gainsbourg, le Bitcoin et la banane à 6 millions de dollars
De l’audace d’un Serge Gainsbourg brûlant un billet de 500 francs à la spéculation délirante qui valorise une banane scotchée à 6 millions de dollars, chaque époque a ses excès et ses symboles. Entre critique fiscale et folie spéculative, quelles leçons tirer de ces gestes qui marquent l’histoire ?
Les auditeurs les plus âgés se souviennent sans doute du 11 mars 1984. Le jour où, en pleine émission télévisée, Serge Gainsbourg, avec son audace légendaire, a brûlé un billet de 500 francs en direct, sous les yeux médusés des téléspectateurs.
Autant dire que ce geste avait fait scandale dans une partie de la population française, horrifiée de voir un artiste renommé réduire en cendres l’équivalent de plusieurs jours de travail. Gainsbourg répondait par ce geste au journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait d’être l’un des artistes les mieux payés de France. Serge Gainsbourg avait rappelé qu’il était taxé à 74% avant de laisser partir en fumée ce billet pour protester contre la politique fiscale du gouvernement socialiste.
Je vous en parle parce que ce geste résume l’esprit d’une époque. Pour Gainsbourg, c’était le ras-le-bol fiscal ; aujourd’hui, c’est plutôt l’ère de la spéculation qui fait rage. Prenez ce fait incroyable : il y a quelques jours, le fondateur d’une plateforme de cryptomonnaies a acheté une banane scotchée à un mur. Oui, une banane. Une vulgaire banane fixée avec du ruban adhésif argenté. Et ne riez pas : c’était une œuvre d’art, vendue par Sotheby’s pour la modique somme de… 6 millions de dollars. Son heureux acquéreur ? Justin Sun, le patron de cette plateforme, qui avait annoncé avec une certaine délectation qu’il mangerait lui-même la fameuse banane. Chose promise, chose faite : lors d’une conférence de presse, il l’a dégustée, comme pour ajouter une touche surréaliste à cette époque d’euphorie spéculative.
Mais attendez, ce n’est pas tout. Mon confrère Marc Lambrecht, du quotidien L’Écho, pointe un autre exemple frappant : cette société nommée MicroStrategy, qui a décidé de placer toute sa trésorerie… en Bitcoins. Oui, vous avez bien lu. Cette entreprise détient l’équivalent de 35 milliards de dollars en Bitcoins. Je ne parle pas de millions, mais bien de milliards. Et comme en plus cette société conceptrice de logiciel est cotée en Bourse, son cours a grimpé de 550% depuis le début de l’année ! là aussi, c’est un autre indice d’euphorie spéculative, car cette société de logiciel n’affiche qu’un chiffre d’affaire de 500 millions de dollars et affiche des pertes sur sa véritable activité. Allez comprendre quelque chose à tout ça.
C’est là que mon confrère Marc Lambrecht établit un parallèle intriguant avec les années 80, non pas en France, mais au Japon. À l’époque, les entreprises japonaises faisaient tellement de bénéfices en Bourse qu’elles préféraient investir dans les marchés financiers ou les œuvres d’art plutôt que dans leur propre développement. Comme aujourd’hui, avec MicroStrategy. Et comme la banque centrale du Japon maintenait les taux d’intérêt très bas, les entreprises japonaises en profitaient pour s’endetter à bon compte et investir dans tout sauf dans l’avenir de leur société. Mais lorsque la banque centrale a fini par relever brutalement les taux, la Bourse s’est effondrée de 40 %, plongeant ces entreprises dans une crise, voire dans l’oubli.
Tout cela pour dire que le Bitcoin, lui aussi, semble en pleine euphorie. Il flirte avec la barre symbolique des 100.000 dollars après avoir bondi de 30 % depuis le début de l’année. Mais il cale, pour l’instant, face à ce chiffre rond. Les amateurs de cryptomonnaies parlent d’une simple pause ; les sceptiques y voient un nouvel indice d’euphorie spéculative.
Et vous, dans quel camp êtes-vous ? Nostalgique de Gainsbourg et ses coups d’éclat ? Ou témoin fasciné de cette époque où une banane et des Bitcoins valent des fortunes ?
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