Paul Vacca

Faut-il sauver le soldat Google ?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

“Je ne cherche pas, je trouve”, affirma un jour Picasso. Derrière ce pied-de-nez valorisant son statut de génie se cache une intuition plus profonde : chercher et trouver ne vont pas forcément de pair. Il nous arrive bien souvent – à l’inverse de Picasso – de chercher sans trouver. Et parfois, de continuer à chercher alors même que nous avons déjà trouvé, comme dans le biais de confirmation, où l’on ne cherche que ce qui conforte nos croyances. Le peintre ouvrait ainsi une question philosophique vertigineuse : chercher et trouver entretiennent des liens un rien cubistes.

Une phrase que devrait méditer Google. Non par pur amour de la philosophie, mais parce qu’elle se trouve au cœur de son problème existentiel du moment. Jusqu’à présent, Google avait construit son empire sur l’équivalence rationnelle selon laquelle chercher nous permettait de trouver : on trouvait parce qu’on cherchait. Or aujourd’hui, l’arrivée des IA génératives rebat les cartes et fait entrer Google dans un dangereux moment Picasso. Car les chatbots nous permettent de trouver sans chercher et attentent au rayonnement de Google. D’où la réaction la semaine dernière d’Alphabet qui annonce vouloir renforcer son moteur de recherche en intégrant le “mode IA”.

Mais n’est-ce pas faire entrer le loup dans la bergerie ? En intégrant l’IA, ne risque-t-elle pas de compromettre ses 198 milliards de dollars de revenus publicitaires solidement arrimés à son moteur de recherche ? Car l’empire de Google repose sur le socle qu’elle a réussi à se construire : l’illusion d’une transparence et le mirage d’une objectivité. Son génie : ériger, grâce à un graphisme spartiate aux allures académiques, un temple platonicien de la recherche sur le fronton duquel on pourrait lire : “Nous ne vous vendons rien, nous servons la Vérité”.

En cherchant à éviter de se faire faire les poches par OpenAI, Google tente peut-être la pire des stratégies : superposer deux approches contradictoires.

Or, l’introduction de l’IA générative dans le temple du search risque d’affaiblir la puissance du dogme googlien. En cherchant à éviter de se faire faire les poches par OpenAI, Google tente peut-être la pire des stratégies : superposer deux approches contradictoires. Au lieu de résister sur sa position maîtresse du search, Google dénature son ADN en proposant une version gloubi-boulga des deux approches : exiger de l’IA générative une véracité qu’elle ne vise pas (elle ne génère que du vraisemblable) et réduire l’IA à une fonction de recherche améliorée, alors qu’elle est avant tout une machine à formuler de pures hypothèses.

Mais plus largement que le cas Google, on peut se demander si ce moment Picasso n’est pas en train d’endommager plus encore notre rapport déjà fragile à la vérité. Prenons l’exemple d’une recherche effectuée sur “les causes de la Révolution française”. Un moteur de recherche vous donnera (pour peu que vous alliez au-delà de la première page évidemment) des liens d’historiens libéraux, marxistes, légitimistes, conservateurs, révisionnistes… Et vous pourrez ainsi faire votre chemin parmi ces différentes écoles de pensée. Alors qu’avec l’IA, vous obtiendrez en quelques secondes une synthèse lissée et homogénéisée, ayant slalomé entre les différentes controverses et donnant l’illusion d’un consensus.

“Chercher” n’a parfois pas d’autre but que de nous ouvrir à la complexité du monde, alors que “trouver” en tension permanente vers son but escamote cette diversité. Dans son obsession à toujours “trouver”, l’IA générative ne cherche plus : c’est ce qui la pousse du reste dans les bras de ses fameuses “hallucinations”. Trouver, mais à quel prix ? Alors faut-il sauver le soldat Google ? Peut-être. Plus sûrement, il faut sauver notre propre moteur de recherche : notre capacité à chercher.

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