Amid Faljaoui
Faut-il dénoncer une banque parce qu’elle ne veut pas financer le secteur de la défense ?
Avouez que ce n’est pas tous les jours qu’un ministre de la défense menace des banques de dévoiler leur nom au public parce qu’elles ont refusé de financer une entreprise active dans la sous-traitance des armes nucléaires. Et ce ministre n’est pas chinois, ni russe, ni nord-coréen, mais bien français. Ce coup de gueule, une première en Europe, en dit long sur le débat houleux qu’ont en ce moment les banques et l’industrie de l’armement.
Les banques européennes sont à la pointe du respect des normes ESG – E pour environnement, S pour social et G pour bonne gouvernance. Les ONG, la Commission européenne et les lois votées par les eurodéputés poussent depuis de longues années pour que les banques ne financent qu’au compte-gouttes l’industrie de l’armement. Et pour cause, elle est mal vue aussi par les clients européens qui sont de nature pacifistes et voient l’industrie de l’armement avec les mêmes yeux que l’industrie du tabac.
Mais voilà, si l’Europe a connu une paix continue de 1945 à 2022, la guerre en Ukraine a changé le logiciel des politiques et sans doute de la population. Chacun sait que si Trump arrive au pouvoir, il va à nouveau demander aux Européens de mieux assumer leur propre défense. N’oublions pas qu’il nous a même menacés de ne pas nous défendre si nous ne respections pas nos engagements budgétaires.
Or, comme chacun le sait maintenant, plusieurs pays européens, dont la Belgique et la France, n’arrivent pas au seuil des 2 % du PIB qui devrait être normalement consacré aux investissements de la défense. Et si pendant longtemps c’était l’État qui assurait ces dépenses, aujourd’hui, nos États sont super endettés et doivent donc demander au secteur bancaire de les aider à financer l’industrie de l’armement. Mais voilà, ces banques le font avec une pince sur le nez car elles veulent respecter les fameuses normes ESG et ne pas être accusées par les ONG de financer la guerre.
Le souci, c’est que nous ne sommes plus en temps de paix mais de guerre. Vladimir Poutine ne nous a pas laissé le choix, nous devons passer d’une économie de paix à une économie de guerre qu’on le veuille ou non. Je vous incite à ce propos à lire le livre récent de David Baverez, un investisseur français basé à Hong Kong. Son livre s’intitule « Bienvenue en économie de guerre ». Et ce brillant observateur de la vie économique nous dit quoi ? Que notamment les fameuses normes ESG, qui historiquement désignaient le E pour environnement, le S pour social ou sociétal et le G pour gouvernance, doivent être revisitées dans un monde en guerre.
Le E devient l’acronyme d’énergie, car sans énergie, pas de transition environnementale. Le S devient l’acronyme de sécurité, et notamment la sécurité de nos approvisionnements en diverses matières premières et agricoles. Le G est là pour le mot guerre, car effectivement la guerre oblige les politiques et les chefs d’entreprises à évoluer dans un monde d’abondance à un monde de pénurie. C’est sous ce prisme qu’il faut regarder le coup de gueule du ministre des armées en France. L’industrie de l’armement, personne n’en veut, on est tous d’accord, mais quand la menace est à nos frontières, on fait quoi ?
L’ancien premier ministre italien Enrico Letta vient de remettre un rapport sur l’avenir de l’Europe. Il y a notamment constaté que l’Europe est le seul continent où les pays qui le constituent achètent 80 % de leur matériel militaire à des pays comme les États-Unis, la Corée du Sud ou la Turquie. En clair, nous créons de l’emploi dans ces pays parce que nous avons décidé collectivement de nous mettre une pince sur le nez dès qu’il s’agit d’armement. Question : je ne sais pas ce que vous en pensez, mais est-ce encore tenable de garder cette attitude de bisounours ?
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