Bruno Colmant

Etats-Unis: Un Gotham City planétaire ?

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

De retour d’une semaine académique aux États-Unis, je confirme : plus personne ne parle des élections, sauf CNN et Fox News. Rien ne change : les publicités télévisées sont les mêmes depuis 30 ans – Advil, Tylenol, KFC, etc. On parle, comme toujours, des matchs de baseball et de football américain.

Donc, rien ne change, mais seulement en apparence. Car les États-Unis redeviennent ce qu’ils veulent être : une puissance débarrassée de leurs obligations, un peu comme Gulliver libéré des fils, réels ou imaginaires qui l’immobilisaient.

Trump a désormais tous les pouvoirs. Et il va les exercer. Les nominations de ses proches aux postes clés en sont l’illustration. Ce qui relie ces femmes et ces hommes, c’est une loyauté clanique et tribale envers Trump. D’ailleurs, avec un contrôle des quatre instruments de pouvoir (la Présidence, la Chambre, le Sénat et la Cour suprême), Trump va modifier l’essence de l’exercice du pouvoir américain dans une orientation autocratique, très éloignée du principe de « checks and balances » qui façonnait l’essence protestante de la vie politique américaine.

Alors, quels seraient les scénarii extrêmes du futur, sous l’angle restreint politico-économique ? J’en vois deux : un scénario d’implosion et un scénario d’explosion. La réalité sera peut-être un mélange des deux, ou pire, les deux à la fois, mais alors ce serait un Gotham City planétaire.

L’implosion, c’est le programme péroniste de Trump : inflationniste, fondé sur la fermeture des frontières, l’expulsion des migrants, des baisses d’impôts et des barrières tarifaires – en bref, un scénario populiste séduisant, mais qui risque de s’effondrer en lui-même. Cela entraînerait si ce programme arrive à terme, un effritement du dollar et un risque de perte de crédibilité de la dette américaine (mais, après tout, ce ne sont que des symboles), sans compter les souffrances des damnés de la Terre (et ne nous offusquons pas : nous avons fait pire avec nos colonies), que nos médias oublieront vite au profit des gains temporaires du Dow Jones. Et je passe, à tort, sur les droits des femmes et des minorités dans une société machiste et hyperpolarisée où les opprimés devront baisser le regard.

Ou bien un scénario, plus classique, explosif : une société américaine qui, après avoir voulu Trump, attend une autre imminence pour se redéployer, dans un tonnerre d’emballement et de puissance militaire, aux contours indéfinis et au tracé imprécis, qui conduira sans doute au même résultat, car il n’y a pas d’aboutissement.

Dans les deux cas, le monde vit un moment de césure. Et il est plausible que rien ne nous protège, car c’est le système mondial, dont on ne peut s’échapper, qui vit un bouleversement interne.

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