Paul Vacca

Et si les paris sauvaient le débat démocratique ?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Chaque soirée électorale nous offre peu ou prou le même scénario. Les résultats du scrutin apparaissent à l’écran et quasi invariablement font mentir les prévisions martelées par les sondages pendant les longues semaines de campagne électorale. Le sondage est pourtant un dispositif scientifique mis au point et perfectionné depuis près d’un siècle, le premier ayant été effectué par Gallup en 1932 qui avait prédit d’ailleurs avec succès l’issue d’un scrutin local dans l’Iowa. Mais alors, pourquoi les sondages se trompent-ils si souvent ?

Les instituts ont une explication bien rodée : les sondages, se défendent-ils, n’ont pas de valeur prédictive en soi, ils offrent une photo de l’opinion prise à l’instant T, sans préjuger de ce que les sondés feront le jour du vote. Belle argutie car en réalité, même en tant qu’appareil photo à un instant T, le sondage s’avère défectueux. Non pas parce que l’outil lui-même ne serait pas techniquement fiable mais parce que les sondés, eux, ne le sont plus.

En effet, les déclarations des personnes interrogées lors d’un sondage sont de moins en moins fiables non tant parce qu’elles changent souvent d’avis, rendant la photo floue, mais parce que désormais rompues à l’exercice, elles utilisent les sondages non pour livrer leur réelle intention de vote mais pour faire passer un message. Un usage stratégique des sondages comme un vecteur d’expression, qui plus est sans risque. Or les sondages sont toujours vendus (et surtout achetés) comme des outils prédictifs. Peut-être parce qu’ils sont à la science prédictive ce que Churchill disait de la démocratie : un mauvais système, mais le moins mauvais d’entre tous.

Parier de l’argent sur les hommes politiques pourrait, contre toute attente, produire 
un électorat mieux informé.

Pourtant, pour John Aristotle Phillipps, le fondateur de l’entreprise PredictIt, il existerait bien un outil plus performant en matière de prédiction politique que le sondage : c’est le pari. Parfaitement : le pari comme pour une course de chevaux ou un match de football. Absurde ? Imagine-t-on, en effet, les instituts Winamax ou Unibet remplacer les Ipsos, Ifop et autres BVA ? Et, c’était prévisible, cette innovation fait hurler les sénateurs américains vent debout pour empêcher que le marché de la prédiction investisse le champ politique. Ce serait pour eux une menace pour la démocratie.

Or, pour John Aristotle Phillipps, parier sur des hommes politiques comme sur des chevaux serait plus efficace. Avant les sondages scientifiques et avant qu’ils ne soient interdits, les paris politiques étaient d’ailleurs utilisés à des fins prédictives avec un certain succès. Les quotidiens publiaient alors les cotations pendant les campagnes électorales comme les baromètre politiques d’aujourd’hui. Et aux dires des spécialistes, avec des pouvoirs prédictifs supérieurs à tout autre source.

Mais aussi et surtout, pour le fondateur de ­PredictIt, les paris politiques pourraient être d’utilité publique : rien moins que des générateurs de vérité encourageant l’engagement des parieurs dans une compréhension approfondie de la chose politique. Lorsque l’on parie sur un cheval ou un joueur de tennis, on va chercher à se renseigner pour mieux comprendre.

Ainsi, selon Phillipps, de la même façon, parier de l’argent sur les hommes politiques pourrait, contre toute attente, produire un électorat mieux informé. Peut-être parce que la pratique du pari réintroduit ce qui semble cruellement faire défaut aujourd’hui : un enjeu. Sans enjeu, chez les sondés (comme chez les commentateurs politiques et les politiques eux-mêmes), la parole n’a aucune valeur. Qui aurait parié qu’une pratique ludique, amorale et dangereusement addictive comme le pari, puisse avoir un effet vertueux sur le débat démocratique ?

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