Bruno Colmant
Et si le dollar n’était plus la devise de référence ?
Le dollar est la devise de référence mondiale. Il sert de monnaie pour le négoce de 60 % des échanges internationaux. Pourtant, c’est la devise d’un pays, certes le plus riche, mais qui représente moins de 5 % de la population mondiale et dont la dette publique s’élève à un tiers du PIB mondial annuel (détenue, il est vrai, à 75 % par des acteurs américains eux-mêmes).
Le dollar fédère donc une ploutocratie monétaire, garantie par l’influence politique et la force militaire des États-Unis. Les Américains disposent de 11 porte-avions, véritables armées flottantes, ce qui correspond presque au nombre de Federal Reserves américaines régionales, qui sont au nombre de 12. Chaque porte-avions est en quelque sorte une Federal Reserve navigante. Si les États-Unis ne dominaient plus militairement une région étendue de la planète dans une logique impérialiste, le privilège du dollar pourrait s’éroder.
C’est d’ailleurs ce qui se dessine puisque certains pays envisagent de créer des agrégats monétaires centrés sur la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite, etc. Ces tentatives me semblent hasardeuses, mais elles sont, à tout le moins, évoquées.
Mais j’ai une autre inquiétude, mise en lumière par l’agence de notation de crédit Fitch qui a légèrement abaissé la qualité de solvabilité du dollar : les États-Unis pourraient-ils faire défaut sur leur dette ? Pas de manière abrupte comme l’ont fait Roosevelt et Nixon en modifiant la parité du dollar par rapport à l’or, mais peut-être en inondant le marché de dollars non rémunérés, ou par une consolidation de la dette fédérale, ou encore à travers d’autres conjonctures d’événements. Imaginons, par exemple, que la tentative de coup d’État de Trump ait réussi en janvier 2021 ? Que serait-il advenu en termes de crédibilité institutionnelle du dollar ?
L’importance du dollar dans la sphère financière mondiale porte donc son propre risque si les États-Unis décident d’adopter une politique isolationniste ou s’ils connaissent une crise constitutionnelle.
Ce jour-là, nous assisterions à une implosion monétaire mondiale.
Est-ce un véritable risque ? Oui, même s’il semble extrêmement lointain. Mais il faut se souvenir des mots d’Henry Kissinger, certes prononcés dans un autre contexte : « Être un ennemi des États-Unis est dangereux, mais être un ami peut être fatal. » Cette idée fut magistralement exprimée en 1972 par John Connally, secrétaire d’État au Trésor sous Nixon, lorsqu’il déclara : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème », en réponse à des dirigeants européens interrogatifs sur la politique monétaire américaine.
Et il faut se remémorer des paroles du Président Nixon quand les États-Unis décidèrent de quitter le système mondial de l’étalon-or en 1971, entraînant un chaos monétaire sans précédent pendant une décennie. Nixon, qui fut plus tard reconnu comme un fieffé menteur lors de l’affaire du Watergate trois ans après, déclara à l’époque : « Comment présenter cette mesure, qui est très technique, et expliquer ce qu’elle signifie pour vous ? Laissez-moi dissiper le spectre de ce que l’on appelle la dévaluation. Si vous souhaitez acheter une voiture étrangère ou voyager à l’étranger, il est possible que les conditions du marché réduisent la valeur de votre dollar. Mais si vous faites partie de l’immense majorité des Américains qui achètent des produits américains fabriqués en Amérique, votre dollar vaudra demain ce qu’il vaut aujourd’hui. Le but de cette mesure est de stabiliser le dollar ».
C’est une phrase à méditer.
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