Philippe Ledent

Et à la fin, c’est l’Amérique qui gagne

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Les dernières années ont été marquées par des chocs très importants. Les réactions de court terme des autorités ont été parfois de nature très différente, à des périodes et avec des intensités différentes. Mais avec le recul, on peut dresser un premier bilan. Et en comparant les Etats-Unis à la zone euro, cela semble toujours être la même histoire: l’économie américaine a mieux résisté aux chocs. Si l’on prend comme point de référence le quatrième trimestre de 2019 et que l’on fixe pour les deux économies le PIB réel au niveau 100, les Etats-Unis ont terminé l’année 2023 au niveau 108,2, contre seulement 103,5 pour la zone euro. L’écart semble énorme sur une aussi courte période. Comment l’expliquer ?

Rappelons d’abord que l’économie américaine a un potentiel de croissance plus élevé que la zone euro. Donc, quelle que soit la période, on aura tendance à obtenir un meilleur résultat pour l’économie américaine. Dans le contexte des dernières années, cette explication ne devrait pourtant n’avoir joué qu’un rôle marginal. Par contre, on sait que les moments de crise sont aussi des moments de profondes mutations des économies. Et à ce jeu, la flexibilité de l’économie américaine est un atout. Elle fait plus de dégâts dans l’adversité (alors que la plupart des pays européens mettaient en place un chômage temporaire spécial durant les confinements, l’économie américaine perdait 25 millions d’emplois…) mais permet aussi à l’économie de rebondir plus vite et surtout de se transformer plus rapidement.

Au-delà de ces explications, il faut aussi avouer que les autorités américaines ont mis énormément d’argent public sur la table pour maintenir l’éco­nomie à flot. Cela peut paraître paradoxal pour une économie que l’on voit souvent comme l’archétype de l’économie de marché. Mais, rappelons-nous les compléments très généreux à l’allocation de chômage durant le covid, le moratoire de trois ans sur les crédits étudiants et surtout l’Inflation Reduction Act (IRA) qui attire à grands renforts de subsides de très nombreuses entreprises, provoque une accélération des investissements dans de nouvelles usines et prépare l’économie aux batailles économiques et technologiques des prochaines années. A l’opposé, la zone euro continue de se chercher. Oui à la digitalisation, mais régulons d’abord toutes les questions de protection des données. Oui à la neutralité carbone, mais quelqu’un d’autre doit en payer le prix. Oui à une agriculture exportatrice pour certains, mais non pour d’autres. Et surtout, en fait, oui ou non à la croissance économique ?

Presque aucune économie de la zone euro ne tient la comparaison avec le dynamisme américain.

N’oublions pas non plus que la principale économie de la zone euro est profondément malade: l’Allemagne termine 2023 avec un PIB à l’indice… 100,1 ! L’activité n’a donc en rien progressé depuis fin 2019 : manque de compétitivité, manque d’innovation, manque d’énergie, infrastructures vieillissantes. Le modèle de croissance allemand est simplement en panne dans un monde qui évolue. C’est évidemment une autre raison expliquant le retard accumulé par la zone euro. Mais pour être clair, presque aucune économie de la zone euro ne tient la comparaison avec le dynamisme américain.

On pourra toujours se consoler en se disant qu’on a créé plus d’emplois. En effet, si l’on fixe l’emploi au niveau 100 au dernier trimestre de 2019, l’économie américaine était au niveau 104 fin 2023, alors que la zone euro approche le niveau 105. Ne serait-ce pas là le plus important ? Peut-être… Mais il faudra quand même se demander quelles sont les conséquences d’une économie où la création d’emplois se fait sans création de richesse dans les mêmes proportions. Cela, c’est une autre histoire… z

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content