Philippe Ledent

En coulisse, l’économie se détériore

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

A l’approche des élections, la campagne se focalise souvent sur des dossiers particuliers. La publication prochaine du chiffrage, par le Bureau du Plan, des propositions envoyées par les partis politiques va temporairement remettre le volet économique sous le feu des projecteurs, mais il est peu probable que cela le remette au centre de la campagne électorale.

Si cela devait néanmoins être le cas, les partis de la coalition sortante s’appuieront sur un bilan macroéconomique affiché comme positif. La croissance économique a été au rendez-vous, malgré les crises, et l’économie belge a même fait preuve d’une bien plus grande résilience que la plupart des économies de la zone euro suite à la vague d’inflation. Sur le marché du travail, on pourrait afficher le fait que les pertes d’emplois durant la crise du covid ont été limitées et que l’emploi a progressé de plus de 270.000 emplois nets depuis la deuxième moitié de 2020. Le taux de chômage harmonisé, calculé par Eurostat, reste quant à lui figé à un niveau très bas de 5,5%. Et compte tenu d’une croissance économique stable au rythme de 0,3% par trimestre, rien n’indiquerait, a priori, un quelconque problème.

On observe de plus en plus clairement une détérioration du marché du ­travail en Belgique.

Il faut pourtant sérieusement relativiser ces bonnes nouvelles. D’une part, la définition d’Eurostat du taux de chômage est inadéquate et ne rend presque plus compte des fluctuations du marché du travail. C’est vrai tant en Belgique que dans l’ensemble de la zone euro. Pour preuve, si l’on examine les chiffres des demandeurs d’emplois inoccupés, il est en hausse de 8,5% sur un an (soit plus de 40.000 personnes). En Flandre, dont l’économie est plus soumise au cycle économique, la hausse est même de près de 15% sur un an ! On observe par ailleurs une hausse assez nette (20% en moyenne mobile sur les trois derniers mois) du chômage temporaire pour raison économique. Or ceci est généralement un bon baromètre de l’évolution future du marché du travail.

D’autre part, du côté de l’emploi, l’activité dans le secteur de l’intérim ne cesse de diminuer (-7% sur un an en février dernier). Il faudrait s’en inquiéter, car il s’agit aussi d’un indicateur avancé du marché du travail. Plus concrètement encore, même si la croissance économique reste étonnamment stable au fil des trimestres, les créations nettes d’emplois se tarissent. Alors qu’en 2022, on dépassait 20.000 créations nettes chaque trimestre, elles sont tombées à moins de 10.000 en 2023 et même à moins de 3.000 au dernier trimestre de cette même année. On ne reviendra pas ici sur le fait que la plupart des emplois créés le sont dans le secteur non marchand, ce qui a déjà été largement commenté lors de la sortie du rapport de la BNB. Mais il est bon de le garder à l’esprit quand on tente d’avoir une vision complète de ce qu’il se passe sur le marché du travail.

Enfin, on peut s’intéresser aux tensions sur le marché du travail au travers de la courbe de Beveridge, qui met en relation le nombre d’emplois vacants et celui des demandeurs d’emploi. Entre le dernier trimestre de 2021 et le dernier trimestre de 2022, le nombre d’emplois vacants a à peine baissé (de 196.000 à 184.000). Par contre, le nombre de demandeurs d’emploi a progressé de près de 69.000 personnes sur la même période. En d’autres termes, l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail a nettement progressé en deux ans.

Que faut-il retenir de tout cela ? 1. On observe de plus en plus clairement une détérioration du marché du travail en Belgique. Il faudrait y accorder plus d’attention. 2. L’emploi dans le secteur marchand de l’économie souffre davantage, ce qui se marque aussi par une détérioration plus forte du marché du travail en Flandre (qui, pour être clair, reste bien plus enviable que dans les autres Régions). 3. L’inadéquation entre l’offre et la demande de travail reste un gros problème de l’économie belge. Corriger ce problème demeure une des meilleures opportunités de créer de l’emploi.

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