En 2030, le CEO belge sera-t-il un castrat cognitif ?

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Laurent Alexandre et Alexandre Tsicopoulos

Qui contrôle l’IA contrôle demain. Sans stratégie propre, la Belgique risque de perdre sa souveraineté cognitive au profit des géants étrangers.

Pendant deux siècles, les nations ont structuré leur puissance autour de l’école, des universités, de la formation des élites et du savoir accumulé. L’émergence d’IA capables de coder, de diagnostiquer, de créer et de décider change la donne. L’intelligence n’a plus besoin d’être formée : elle est téléchargée. Or, dans un capitalisme où la force de travail cognitive devient quasiment gratuite, celui qui possédera l’IA aura la domination industrielle et la suprématie géopolitique.
La Silicon Valley dépense un milliard de dollars par jour en recherche sur l’IA. Logiquement, quelques groupes américains (Google, Anthropic, OpenAI, X-Grok) détiennent la quasi-totalité des IA avancées. La Chine est en embuscade. L’Europe régule, observe et moralise, mais elle ne produit pas. Celui qui a l’IA peut remplacer des employés, créer de nouveaux services, réduire le temps de conception, détecter des signaux faibles dans la finance, espionner en temps réel, coder à la place des codeurs. Et décider avant les autres.
Une IA entraînée aux valeurs woke de San Francisco influencera nos juges, nos élèves et nos employés. Une IA made in China orientera les décisions vers l’ordre, la loyauté et le consensus. Si nous ne possédons pas nos propres IA, nous déléguerons notre imaginaire, notre rationalité ainsi que notre souveraineté cognitive. Cette dépendance ne sera pas seulement économique. Elle sera aussi culturelle, politique et stratégique.
En matière d’IA, nous sommes totalement dépendants. Comme on dépendait du gaz russe, on dépendra des IA californiennes. La Flandre avance plus vite que la Wallonie, mais sans levier fédéral, sans logique de guerre économique, nous resterons des consommateurs d’intelligence et non des producteurs. L’IA structure nos décisions, formate nos réponses, façonne nos imaginaires. Ne pas posséder l’IA, c’est accepter une colonisation douce de nos cerveaux. C’est laisser nos juristes se faire assister par des IA entraînées aux précédents américains. C’est voir nos écoles devenir dépendantes de tuteurs cognitifs dont nous ne maîtrisons ni les biais, ni les intentions.
Nous avons besoin d’une stratégie industrielle offensive sur l’intelligence. Pas seulement pour créer de la valeur, mais pour conserver notre autonomie décisionnelle. Cela implique des investissements massifs dans les modèles linguistiques et une infrastructure GPU (Graphics Processing Units). Et surtout, un changement culturel : la conscience que l’intelligence est un bien stratégique qui ne se délègue pas impunément. L’intelligence ne se loue pas, elle se défend.
Dans les palais impériaux chinois, on confiait les postes les plus sensibles à des eunuques, serviteurs loyaux et inoffensifs. En 2030, si la Belgique ne change pas de cap, le CEO belge sera un castrat cognitif dépendant d’intelligences externes pour penser, planifier et décider. Un dirigeant privé d’intelligence propre qui conservera les apparences du pouvoir, mais sans en avoir la substance. Le PDG sera un habillage humain posé sur une boîte noire californienne. Son pouvoir sera sous-traité aux ingénieurs de San Francisco. Le CEO belge signera des rapports écrits par ChatGPT, fera semblant de décider alors qu’il n’aura plus qu’à valider des scénarios produits ailleurs. Si la Belgique veut que ses CEO restent des stratèges et non des figurants, il est temps de construire les fondations de notre souveraineté cognitive. Avant que d’autres ne pensent pour nous.

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