L'oeil d'Amid Faljaoui

Traders contre dictateurs: quand le pétrole fait sa loi

Jusqu’à récemment, le détroit d’Ormuz, cela ne disait pas grand-chose à la plupart des gens. Mais depuis la guerre éclair entre Israël, l’Iran et les États-Unis, ce nom est entré dans l’actualité comme une zone rouge clignotante. Et pour cause : un baril de pétrole sur cinq y transite chaque jour. Nous avons tous compris que ce n’est pas simplement un détroit, mais que c’est une artère vitale de l’économie mondiale.

Alors quand l’Iran a menacé de le bloquer, les marchés ont  paniqué. Le baril de pétrole a bondi. Les analystes ont sorti leurs cartes. Et ils ont vite compris que cette menace, en réalité, Téhéran ne pouvait pas vraiment la mettre à exécution. Car fermer Ormuz, c’était aussi fermer la porte à ses propres exportations de pétrole. C’était couper ses revenus, perdre le soutien de la Chine, et risquer l’isolement total. Bref, un pouvoir de nuisance que l’Iran ne pouvait pas utiliser sans se nuire lui-même.

Et ce genre de paradoxe géostratégique, on l’a déjà vu. Il y a un précédent célèbre : le canal de Suez. En 1967, après la guerre des Six Jours, l’Égypte de Nasser décide de le fermer pendant huit longues années, espérant ainsi faire pression sur Israël et sur l’Occident. Mais surprise : le commerce mondial s’adapte. Les navires passent par le cap de Bonne-Espérance, les prix du pétrole restent stables… et la principale perdante, c’est l’Égypte elle-même. Elle perd les milliards de recettes que rapportait le canal. L’Égypte n’obtient aucun soutien international. Elle s’isole, économiquement et diplomatiquement, sans rien obtenir en retour.

C’est exactement la leçon qu’a gardée à l’esprit l’Iran au mois de juin dernier. Détenir un point stratégique, c’est bien. S’en servir à tort, c’est s’isoler encore plus. Si vous cherchez une réponse à la réaction modérée de l’Iran, vous avez une partie de l’explication.

Mais pendant que les États menacent, d’autres, dans l’ombre, prospèrent en silence. Je parle ici des géants du négoce mondial : Vitol, Glencore, Trafigura, Cargill. Des noms qui ne vous disent probablement rien. Et c’est normal : en tant que consommateurs, nous ne sommes pas en contact direct avec ces sociétés, et elles vivent dans l’ombre. Mais sans elles, pas d’essence à la pompe, pas d’aluminium pour nos voitures, pas de pain et même pas de chocolat dans nos tiroirs de cuisine.

Et ce sont ces sociétés de trading qui font aussi circuler le pétrole iranien, malgré les sanctions. Grâce à ce qu’on appelle la “flotte fantôme”: le pétrole iranien est transporté par des navires sans pavillon clair, des transferts de cargaisons ont lieu en pleine mer pas loin de la Malaisie, des papiers d’origine douteuse sont échangés. Résultat:  le pétrole iranien devient du pétrole malaisien en catimini. Et au final, la Malaisie se retrouve officiellement à exporter trois fois plus de pétrole qu’elle n’en produit réellement. Et tout le monde le sait, y compris les Américains. Et tout le monde laisse faire. Parce que faire respecter les sanctions reviendrait à faire grimper les prix.

Mais ces entreprises de trading des matières premières ne se contentent pas de contourner les règles. Elles influencent les conflits. En 2011, en Libye, la société Vitol a livré un milliard de dollars de carburant aux rebelles de Benghazi et sans garantie. Résultat : les rebelles reprennent les terminaux pétroliers, relancent les exportations… et font tomber Kadhafi. Et donc, le résultat, c’est qu’une entreprise privée – inconnue du grand public – a fait basculer une guerre. Oui, une seule entreprise de l’ombre.

La grande leçon à retenir, c’est que ces traders prospèrent dans le chaos. Ce sont les banquiers de l’économie grise. Là où les banques traditionnelles s’arrêtent, eux avancent. Ils prêtent à des États en faillite, en échange de contrats opaques sur plusieurs années. Ils lient des pays entiers – du Tchad au Congo – à quelques groupes basés à Genève ou à Singapour.

Si vous voulez comprendre ce monde parallèle qui fait tourner la planète dans l’ombre, je vous recommande un livre passionnant à glisser dans vos bagages cet été : son titre ? « Un monde à vendre » de Javier Blas et Jack Farchy, deux journalistes de Bloomberg. Cela se lit comme un thriller, mais tout est vrai. Vous y croiserez du pétrole, des valises de cash, des cargaisons clandestines… et des décisions qui déplacent plus de pouvoir que bien des gouvernements.

Bref, c’est une lecture d’été pour comprendre qui tient vraiment les manettes, quand les missiles cessent de voler.

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