Bruno Colmant

D’un siècle à l’autre : les mouvements de la pensée économique

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Ce n’est que dans le temps long que l’on peut esquisser les respirations de l’histoire économique.

Si on résume deux siècles d’écoles de pensées économiques en quelques lignes, on voit se succéder l’école classique, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle. Selon cette dernière, la monnaie est neutre et il faut favoriser l’offre de produits, qui entraîne sa propre demande par les revenus qu’elle contribue à générer. Cette École de pensée épouse l’amorce de la révolution industrielle. Il faut produire au détriment des travailleurs, soudainement déracinés, je devrais écrire déterritorialisés, de leur contexte agricole.

Puis il y a Karl Marx, le seul qui a établi une théorie économique. Elle est implacable, donc suffocante, et son application est liberticide. Son ouvrage majeur, Le Capital (1867), constitua la première théorie monétaire intégrée, en rupture partielle avec les économistes classiques. La mesure sociale du travail exige un instrument monétaire qui constitue un équivalent général aux marchandises. Le salariat — qui, selon Karl Marx, est une marchandisation de la force de travail — découle de l’exploitation du travail par le capital dans le cadre du machinisme. L’économiste allemand explique que la monnaie, rassemblée en capital, sert à payer la force de travail du travailleur, mais pas pour la totalité de sa production, ce qui permet à l’employeur d’accumuler un capital par successions de plus-values. La monnaie devient alors un capital et ce dernier découle donc d’un rapport de production.

Puis, au XXe siècle, il y a l’école keynésienne qui promeut la demande par des politiques budgétaires. John Maynard Keynes rejetait l’atteinte naturelle d’un équilibre parfait et constant entre l’offre et la demande de biens et de services. Il affirmait qu’il était nécessaire que l’État intervienne dans la vie économique de manière discrétionnaire et contracyclique, car le marché ne s’autorégule pas. Les idées de John Maynard Keynes inspirèrent la notion d’État providence beveridgien (Welfare State), du nom de son inventeur, l’économiste travailliste britannique William Beveridge. Il s’agit d’une forme d’interventionnisme social-démocrate qui dote les États de larges compétences en vue d’assurer des fonctions sociales au bénéfice de leurs citoyens.

Ses théories s’échouent dans la stagflation des années 70, avec une alchimie étrange d’inflation et de stagnation de la croissance. L’école classique revient alors sous le vocable de néolibéralisme : il faut à nouveau promouvoir l’offre, flexibiliser le travail (pas le capital), écarter l’État de la gestion de l’économie, démanteler les monopoles d’État, casser les syndicats, dépouiller l’État social, etc. Heureusement, malgré quelques illuminés en Belgique, dont les libéraux flamands, on ne l’a pas fait.

Et l’avenir ?

Alors que nous nous tenons à l’aube d’une nouvelle ère, il semble que l’avenir s’oriente vers une réhabilitation bienvenue de Keynes et de ses principes. Cette réhabilitation vise une harmonisation sociétale fructueuse entre l’État et le secteur privé, une initiative visant à aborder frontalement les inégalités croissantes et les défis environnementaux qui nous menacent tous. Dans cette perspective, les politiques futures s’engageront probablement dans une quête inlassable de consensus et de solidarité sociale, cherchant à bâtir une société où l’économie fonctionne au service de tous, non pas au détriment de la majorité. Ainsi, nous pouvons envisager un futur où l’économie est à la fois équitable et durable, guidée par les principes de justice sociale et de responsabilité environnementale, résonnant profondément avec l’esprit keynésien d’alignement et de coopération entre les différents secteurs de la société.

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