Rudy Aernoudt
Draghi et le néo-keynésianisme
Le très attendu rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe arrive juste au moment où la Commission européenne doit élaborer son programme politique pour les cinq prochaines années. En tant que tel, le rapport est censé définir les grandes lignes de la future politique européenne.
Le rapport souligne l’écart de productivité qui se creuse avec les États-Unis, avec un PIB/habitant inférieur de 30 %. Cela signifie-t-il que les Européens travaillent moins ? Oui, car 28 % de l’écart de richesse est dû au fait que les Européens travaillent moins d’heures dans leur vie. Mais la principale raison de l’écart de richesse est l’écart de productivité, responsable de 72 % de l’écart de richesse. Il ne s’agit donc pas de travailler plus, mais de travailler mieux.
Mario Draghi décrit les défis auxquels l’Europe est confrontée. Les prix de l’énergie sont quatre à cinq fois plus élevés en Europe qu’aux États-Unis. Une véritable politique européenne de l’énergie doit s’attaquer à ce problème. Le rapport souligne également la charge administrative qui reste étouffante en Europe, en particulier pour les PME. Il est étrange que le rapport ne mentionne même pas les coûts élevés de la main-d’œuvre. Les syndicats y trouveraient-ils leur compte ?
L’Europe de Frans Timmermans était une Europe du Green Deal. Heureusement, les gens ont compris à temps qu’au-delà du dogme vert, il y avait aussi la prospérité. Le Green Deal a été rebaptisé “Pacte vert industriel” par Thierry Breton. Aujourd’hui, Mario Draghi va plus loin et affirme que les investissements visant à atteindre la neutralité carbone ne peuvent être réalisés que s’ils sont également économiquement sains. Les investissements dans le domaine du climat ne peuvent être réalisés que s’ils contribuent à l’économie. Il s’agit là d’un tournant majeur. L’écologie devient alors une opportunité d’investissement plutôt qu’un obstacle. Cette troisième étape me semble d’ailleurs très appropriée.
Les investissements dans le domaine du climat ne peuvent être réalisés que s’ils contribuent à l’économie.
Pour réaliser tous les investissements nécessaires, il faut un besoin en capital supplémentaire de 800 milliards par an, indique le rapport. Une partie de cette somme peut provenir du secteur privé, grâce à un meilleur fonctionnement des marchés de capitaux. Mais en outre, selon Mario Draghi, les gouvernements doivent maximiser leur capacité d’emprunt commune. De tels montants, équivalents à trois fois le plan Marshall d’après-guerre, plongeront encore plus les gouvernements dans l’endettement. D’ailleurs, l’Europe l’a déjà fait en empruntant 750 milliards d’euros sur les marchés financiers pour financer le Green Deal.
Mais toutes ces dettes devront être remboursées par la génération suivante. Selon Keynes, les dépenses déficitaires ne sont possibles que si elles sont temporaires, à court terme et si, pendant les bonnes années, les gouvernements constituent des réserves. Ce dernier point a été abandonné. Les dépenses déficitaires ne sont pas la solution à long terme, mais c’est une politique qui permet à l’industrie de se sentir bien accueillie et aux conditions environnementales de devenir plus favorables à l’investissement.
En proposant massivement des dépenses publiques dans des secteurs non spécifiés, le rapport perd un peu de sa crédibilité. Dommage! Le fait qu’il s’agisse d’une occasion manquée de remettre l’Europe sur les rails et d’enrayer la désindustrialisation dépendra de la manière dont les États membres voudront le traduire.
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