Bruno Colmant

Donald Trump et ses milliardaires sont des Césars : malheur aux vaincus

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Si Donald Trump est le symptôme d’une redéfinition idéologique, il n’est alors qu’un artefact. Ceux qui dirigent désormais les États-Unis sont les titans de la Silicon Valley, dont certains développent des thèses ouvertement eugénistes. Ceux-là imaginent une humanité 2.0, réservée aux humains qui se reproduisent en améliorant la qualité de la race, au détriment des autres, perçus comme de simples nuisances ou usances.

Alain Minc parle d’ailleurs d’un cyber coup d’État. Il a raison. Quand certains, dont moi, parlent de ploutocratie, ils sous-estiment le facteur idéologique, mêlé à des thèses transhumanistes qui les conduisent à des réalités post-humaines et à une hybridation entre l’homme et la machine, confinant au cyborg.

D’ailleurs, quand on observe les événements américains, qui ont débuté le 6 janvier 2021 pour rebondir dans différentes annonces stupéfiantes de Donald Trump concernant l’exercice du pouvoir aux États-Unis, on constate un coup d’État. Oui, un coup d’État. Et cela n’a rien à voir avec le fait que Donald Trump ait été élu démocratiquement. Je reviens des États-Unis : croyez-vous que même les républicains s’attendaient à ce que Musk, qui n’a aucune légitimité démocratique, fasse ce qu’il fait ? Aucunement. Et je partage une observation personnelle : de nombreux Américains m’ont dit s’être armés depuis l’élection…

L’homme le plus riche de la Terre prend le contrôle des institutions américaines, des purges sont organisées, des dizaines de milliers de fonctionnaires sont en passe d’être révoqués ou remplacés, tandis que l’emprise militaire américaine déborde des limites de son territoire pour atteindre potentiellement Panama, le Groenland et la bande de Gaza.

Et c’est extrêmement inquiétant, car les fluences de Donald Trump et d’Elon Musk ne vont pas s’annuler, elles vont s’additionner et se multiplier. C’est un véritable gang de milliardaires aux visions eugénistes qui prend le pouvoir de la première puissance mondiale. Et ceux qui croient que les contre-pouvoirs vont fonctionner, des juges fédéraux à l’espoir d’un basculement du Congrès lors des élections de mi-mandat, en seront — je le crains — pour leurs frais. C’est donc un pouvoir absolu et sans alternance qui s’affirme aux États-Unis. Et le jour où Trump aura disparu, ce sont les milliardaires de la Tech qui continueront évidemment à diriger le pays. Mais cela, c’est l’étape ultime, réservée à l’élite.

Il y en a une autre avant : la vulnérabilisation généralisée de tout, à commencer par les hommes. Selon ces maîtres de la technologie, l’humain doit être dépouillé de toutes les protections pour devenir aussi mobile, et potentiellement meilleur dans le combat contre ses semblables, qu’un atome en déshérence. Il faut donc tout déconstruire, rendre tout instable, supprimer tout point d’appui ou camp de base. Cette vision porte l’empreinte du calvinisme qui prône la prédestination : chaque humain doit trouver seul son chemin d’élection divine — son destin — dans une nudité absolue, sans aide comme celle de l’État, qu’il faut évidemment déconstruire au travers d’une dérégulation et déréglementation absolue. Et in fine Dieu reconnaîtra les siens. Le Président argentin Milieu (dont Musk s’inspire) résume les choses : selon lui, la taille de l’État doit diminuer au rythme de la croissance de la technologie. Selon lui, l’État ne doit pas corriger les erreurs de marché. Et il dit, dans une cohérence trumpiste : je ne suis pas venu pour guider des moutons, mais réveiller des lions.

En vérité, cette approche traduit un transfert de la « finance de marché » — qui postule l’optimalité des cours de bourse lorsqu’ils fluctuent librement — vers une « économie de marché totale », où les humains doivent vibrionner en permanence pour s’adapter aux flux du capital.

Le philosophe Alain Supiot (1949 —) a très bien décrit l’attaque néolibérale via la gouvernance par les nombres, c’est-à-dire la foi dans l’ordre spontané du marché. Il rappelle que cette conviction a conduit à attiser la compétition de tous contre tous et que l’érection en norme fondamentale de la poursuite par chacun de ses seuls intérêts particuliers disqualifie l’intérêt public et la frugalité, engendrant inévitablement la violence.

Nous y sommes. Et donc, derrière le trumpisme, c’est bien de cela qu’il s’agit : vulnérabiliser les faibles en les rendant indignes, et récompenser ceux qui, sans foi ni loi, seront capables de s’élever seuls vers de meilleurs futurs — mais surtout, dans leur solitude. Cela se résume à un précepte, celui des césars devant les gladiateurs : vae victis, malheur aux vaincus.

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