Bruno Colmant

Dividendes et plus-values : voici comment comprendre la nouvelle fiscalité

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Investir du capital à risque, sous forme d’actions, dans une entreprise, destinée certes à en retirer un profit, mais aussi à mettre des personnes au travail, a des implications fiscales que je décode dans ce texte.

Pour bien comprendre le poids fiscal associé aux actions, il faut distinguer trois éléments : le dividende, la détention d’une action et la plus-value réalisée lors de la cession de l’action.

Le dividende d’une action est le revenu qui lui est associé. Quelle est la fiscalité qui le frappe ? C’est très simple : le dividende est d’abord soumis à l’impôt des sociétés belge de 25 %, puis au précompte mobilier de 30 %, ce qui représente une charge fiscale de 47,5 % (25 % + 30 % de 75 % restants), ce qui est très proche du taux de taxation le plus élevé du travail, soit 50 %.

Affirmer que les revenus des actions sont significativement moins imposés que ceux du travail (certes majorés des cotisations sociales) est incorrect, d’autant plus que les revenus du travail bénéficient d’un minimum non imposable, ce qui n’est pas le cas des dividendes. De plus, si ce dividende a une origine étrangère, un précompte mobilier s’ajoute à cette charge fiscale.

Et nous en arrivons à la taxation des plus-values, c’est-à-dire le gain résultant de l’augmentation de la valeur d’une action. Il y a deux types de plus-values : les plus-values latentes (ou non réalisées), qui correspondent au fait qu’on constate que le cours d’une action détenue augmente sans la vendre (c’est donc une plus-value « sur papier ») et les plus-values réalisées, qui sont celles qu’on encaisse lors de la vente d’une action. La plus-value, latente ou réalisée, est donc totalement et juridiquement distincte d’un dividende.

En 2017, le Premier ministre Charles Michel m’avait demandé de réfléchir à une taxation des plus-values, dont l’exigence provenait du CD&V. Il voulait que j’imagine une formule alternative, qui est devenue la taxe sur les comptes titres. L’idée, toujours d’application, était de ne pas taxer la réalisation d’une plus-value, mais le stock, c’est-à-dire la valeur d’une action majorée des plus-values latentes et diminuée des moins-values latentes (donc « sur papier »). J’avais imaginé que cet impôt, que j’avais appelé « taxe d’abonnements » frappe tous les titres, qu’ils soient déposés sur un compte titre ou inscrits au nominatif dans le grand livre des actionnaires (c’est-à-dire non directement négociables sur un marché).

La taxation, que j’avais imaginée à un taux de 0,05 % et qui est désormais de 0,15 %, frappe donc un stock d’actions selon ses variations, à la hausse comme à la baisse. C’est donc la détention d’une action qui est frappée de cette taxe de 0,15 %, ce qui s’assimile à un impôt sur la fortune mobilière. Singulièrement, le gouvernement décida de ne pas appliquer la taxe sur les actions détenues au nominatif, pour des raisons que je ne m’explique toujours pas.

Quand une action était vendue, avec gain ou à perte, elle quittait le champ de la taxation des comptes titres. C’était donc l’inverse d’une taxation des plus-values réalisées, puisque c’était une taxation du stock d’actions, majoré des plus-values non réalisées et diminué des moins-values non réalisées. Les recettes pour l’État étaient parfaitement prévisibles, et l’idée fut retenue, avec un seuil de taxation d’abord fixé à 500 000 euros, puis à 1 000 000 euros. Ce fut une erreur de mettre en place un seuil : il aurait été préférable d’appliquer un taux de taxation plus faible dès le premier euro de détention d’action.

Je maintiens que ce système était parfaitement calibré, jusqu’au moment où le gouvernement MR-N-VA décida d’imposer les plus-values, en sus de la taxe sur les comptes titres. Le taux de taxation est fixé à 10 %, et les moins-values sont déductibles, ainsi qu’une franchise pour les 10 000 premiers euros de plus-values, mais on constatera rapidement que les contribuables renonceront, pour de multiples raisons, à la déduction des moins-values et à cette franchise, car il faudra les faire valoir par la déclaration fiscale.

La situation est donc aujourd’hui la suivante : les plus-values latentes sur actions (donc « sur papier ») sont donc taxées à 0,15 % (pour autant que la valeur du compte en actions, et autres actifs, dépasse, par institution, 1 000 000 euros), et quand la plus-value devient réalisée, c’est-à-dire que l’action fait l’objet d’une vente, la taxation passe à 10 %.

On argumentera que ces taux de taxation sont faibles, et ce n’est pas faux. Et il faut constater que la valeur des bourses a fortement augmenté. Celui qui a réussi à investir s’est donc incontestablement enrichi de manière passive. Si un entrepreneur est toujours à risque, le rentier s’est enrichi bien plus facilement qu’un travailleur. Il y a donc une question incontournable de justice fiscale. On connaît le proverbe issu de la sagesse populaire : « Il est plus facile de gagner le premier million que le second sou ».

Mais il est intuitif que les taux de taxation des actions vont augmenter puisque le gouvernement parle déjà de doubler la taxe sur les comptes titres. Et un jour, la taxation des plus-values passera à 30 %, ce qui correspond au taux du précompte mobilier, même si un développement qui dépasse le cadre de ce texte conduit à ce que taxer une plus-value est toujours une double imposition.

Et qui va payer cette taxe sur les comptes titres et sur les plus-values ? La classe moyenne. Pourquoi ? Parce que les grandes fortunes n’ont pas de comptes titres puisque leurs actions sont inscrites nominativement au registre des actionnaires. De surcroît, ces actionnaires de contrôle ne vendent jamais leurs actions, justement pour garder le contrôle des entreprises. Ces actions font l’objet de donations ou de localisations dans des fondations qui leur permettent d’échapper à l’impôt.

Et voici comment la fiscalité évolue en Belgique. Dans un grand brouhaha. Et surtout, une prévisibilité nulle, puisque dès qu’un impôt est déclaré, son taux augmente inexorablement.

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