Amid Faljaoui
Disparition du cash, dématérialisation et perte de liberté
La société du cash est une société de liberté. C’est une société ou l’anonymat est encore préservé. Une société où l’on peut décider de donner quelques euros à un mendiant ou une récompense à ses petits-enfants sans être tracé par l’administration fiscale ou n’importe quelle autre autorité qu’elle soit bancaire ou pas.
Il ne faut pas se le cacher, le cash est en train de mourir doucement, mais sûrement. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les derniers chiffres livrés par la banque centrale européenne : les paiements en espèce représentaient en 2022, environ 59% des transactions en magasins en zone euro. Vous me direz que 59%, ce n’est pas mal, ce n’est pas vraiment la mort du cash. Oui, sauf qu’en 2016, les paiements en cash représentaient non pas 59% des transactions en magasin, mais 80%.
Le cash n’est donc pas encore mort, mais il est en très fort déclin. La faute à qui ? Au COVID qui a favorisé l’usage de la carte pour des raisons sanitaires. Et la faute aux banques qui ferment de plus en plus de distributeurs de billets et rendent donc l’accès au cash très difficile. C’est aussi la faute aux commerçants y compris dans les festivals. Si vous avez participé à un festival, vous aurez constaté que les transactions sur place – achats de boissons ou de nourritures – se font quasi exclusivement via des bracelets que vous pouvez recharger sur place par carte bancaire bien souvent. Evidemment, c’est un gain de temps incroyable pour les organisateurs de ces festivals, mais c’est à nouveau une perte de liberté pour les festivaliers.
Même topo en France, avec l’interdiction depuis ce mois d’août d’imprimer des tickets de caisse en magasin. C’est présenté comme une victoire pour l’environnement (un ticket consomme plus de litres d’eau et plus de papier qu’un ticket dématérialisé), mais on oublie que si ce ticket est envoyé par mail, ce qui est souvent le cas, il consomme en revanche plus de CO2. En effet, le ticket numérique émet 5 grammes de CO2 là où le ticket papier émet 2 grammes. Donc en résumé, ce qu’on gagne en eau, on le perd en CO2 comme le rappelle l’essayiste Guillaume Pitron (auteur de « l’enfer numérique » et de « la guerre des métaux rares »). Et je ne parle même des données privées qui sont souvent récoltées par le ticket numérique, et de la pollution de la publicité qui est parfois jointe à ce ticket de caisse numérique et qui donc augmente encore plus l’impact en termes de CO2.
C’est exactement comme pour les trottinettes en libre-service, leurs utilisateurs donnent plus de données privées qu’ils ne l’imaginent. Les technophiles diront que le traçage existait déjà aussi au temps des cartes de fidélité des supermarchés. Mais là, le traçage est devenu exponentiel. En fait, aujourd’hui, il n’est plus possible de sortir en rue sans produire de données. Là encore, il y a un paradoxe : tout le monde ou presque est convaincu par exemple qu’avec le numérique, il y a moins de papier, qu’on envoie moins de lettres et que donc la dématérialisation, c’est bon pour le climat. Or, parlez à un dirigeant de la Poste, il vous dira le contraire. On envoie moins de lettres, mais plus de colis, du fait de l’explosion du e-commerce. Le papier ne sert plus à envoyer une lettre d’amour, mais à fabriquer des emballages en carton pour les produits que nos jeunes amoureux du climat commandent en Chine ! Là encore, à côté de la disparition programmée du cash, notamment avec l’arrivée de l’euro numérique, nous programmons sans le savoir notre nudité face aux autorités publiques et privées de toute sorte.
Quant à la dématérialisation, elle nous fait passer – sans le savoir – d’une civilisation du papier – recyclable – à une civilisation des métaux présents dans nos téléphones portables. Guillaume Pitron l’explique à mes confrères du Figaro : les métaux contenus dans nos smartphones deviennent des substituts du papier. Nous assistons donc à un transfert d’une matière première qu’on savait recycler vers des matières premières qu’on n’arrive pas forcément à bien recycler. Notamment en raison du coût de ce recyclage. Et ça on y pense moins.
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