Paul Vacca
De l’invention de l’auteur à l’IA
Sous l’Antiquité, les œuvres étaient sans auteur. Cette figure de l’auteur dont le nom s’affiche en couverture d’un livre ou au bas d’un tableau n’a pas toujours existé. Sa stature s’est construite, culturellement et juridiquement, au fil des siècles.
C’est cette épopée que raconte Une brève histoire du droit d’auteur (Flammarion), essai signé Jean-Baptiste Rendu, spécialiste des organisations culturelles, et Richard Robert, directeur éditorial du groupe de réflexion Telos. Une histoire mouvementée et passionnante, richement illustrée et délicieusement mise en maquette, qui va de l’Antiquité à l’émergence de l’intelligence artificielle (IA).
Sous l’Antiquité et jusqu’au Moyen Age, donc, l’auteur n’existe pas. La notion de “création originale” est inconcevable – une pure incongruité. Du fait, d’abord, de la nature de l’activité littéraire, qui se transmet oralement. Fabliaux et chansons de geste au Moyen Age, par exemple, sont une littérature récréative, composée et transmise de bouche à oreille par les trouvères. Comme nos blagues d’aujourd’hui dont on ne connaît pas la source. Mais il existe aussi une raison théologique : aucune création humaine ne saurait se déclarer originale puisque seul le Verbe divin est doué du pouvoir de création. On ne saurait faire acte d’originalité car tout a déjà été dit et toute activité littéraire se réduit à de la glose, à savoir du commentaire.
Peut-on imaginer, comme le font certains experts, qu’un jour les IA seront dotées d’une personnalité juridique à part entière ?
C’est l’imprimerie et l’humanisme naissant qui donneront corps à la figure de l’auteur. Comme le racontent Jean-Baptiste Rendu et Richard Robert, les combats juridiques et financiers pour ses droits (et ses responsabilités) ne font alors que commencer. L’essai se parcourt comme un livre d’aventures, avec des batailles parfois homériques et flamboyantes. Les grèves récentes des auteurs à Hollywood montrent que cette question n’est jamais totalement réglée.
Bien sûr, cette “Brève Histoire” évoque les chambardements contemporains. Ceux d’internet, avec le peer to peer et le piratage en masse, et ceux de l’IA, qui mettent violemment en tension la notion d’auteur. En soulevant des questions juridiques et existentielles vertigineuses : qui, par exemple, est le titulaire des droits sur les créations réalisées par des machines ? Est-ce l’utilisateur qui a formulé la requête, à savoir le rédacteur du prompt ? Le développeur du logiciel ? Les actionnaires de l’entreprise ? Vaste débat. Peut-on par ailleurs imaginer, comme le font certains experts, qu’un jour les IA seront dotées d’une personnalité juridique à part entière ?
A toutes ces questions aux allures de vis sans fin s’ajoute un problème de taille concernant au premier chef les auteurs en chair et en os. Car les IA génératives, on le sait, ne “créent” pas leurs œuvres ex nihilo : elles les génèrent (d’où leur nom) à partir de bases de données composées d’images et de textes façonnés par des humains. On peut donc considérer que les œuvres ainsi utilisées constituent une partie de la création finale et que les créateurs originels se trouvent à leur insu plagiés et dépossédés.
Jean-Baptiste Rendu et Richard Robert en appellent à la vigilance. Car dans un effet de boucle saisissant et machiavélique, la machine pourrait nous renvoyer au Moyen Age, remplaçant la figure de l’auteur devenue sans intérêt. Mais en pire : car non seulement les œuvres seraient sans auteur, comme auparavant, mais les auteurs seraient sans œuvre.
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