Paul Vacca
Corée du Sud: la magie du soft power
Ce pays a réussi à produire une forme d’espéranto culturel mondial grâce à deux approches a priori contradictoires: l’une dystopique et violente, l’autre utopique et douce.
Longtemps, le made in Korea a été synonyme de contrefaçons grossières et de produits discount d’électroménager. Mais depuis une trentaine d’années, les choses ont bien changé. Non seulement des références high-tech sud-coréennes, comme les réfrigérateurs LG, les téléviseurs Hyundai ou les smartphones Samsung, se sont invités dans les foyers aisés du monde entier, mais les produits culturels et lifestyle siglés en K (K-pop, K-drama, K-food, K-beauty, etc.) ont pénétré les imaginaires. La musique, les séries, les films, les manhwas (mangas), tout ce que l’on appelle le soft power, constituent désormais le quotidien de la jeunesse planétaire. De cheap, la Corée du Sud est devenue hype.
Zombies et drames sociaux
Dans “Corée miroir, Corée refuge”, un article paru dans la revue Critique datée de novembre 2022, Benjamin Joinau, docteur en anthropologie culturelle spécialisé dans les études coréennes, analyse brillamment les conditions d’éclosion de ce soft power particulièrement efficace. Il montre qu’il s’est développé suivant deux axes a priori totalement contradictoires.
Sur un axe noir et désespéré d’abord, autour de films d’horreur, de survivals, de films de zombies, de science-fiction dystopique et de drames sociaux (et parfois tout ça à la fois! ), les incarnations parfaites étant la déflagration Squid Game, série diffusée par Netflix en octobre 2021, ou Parasite, le film de Bong Joon-ho en 2019 couronné par une Palme d’Or à Cannes et un Oscar du meilleur film.
On a voulu y voir de façon un peu hâtive le pur reflet de la société sud-coréenne contemporaine: son hyper-croissance économique minée par les inégalités sociales et l’ultra-compétition, les phénomènes des sectes et des complots, le délitement du lien social et la perte de repères, l’hyper-surveillance et la dictature des réseaux sociaux…
Mais le tour de force de ces narratifs dystopiques est qu’ils fonctionnent comme le révélateur d’un dysfonctionnement plus global et universel: le miroir de nos propres errements et terreurs. Une fonction cathartique que savaient parfaitement en son temps endosser les Etats-Unis (dans les années 1970 avec le Nouvel Hollywood) avec des films manifestes contre l’impérialisme économique et militaire du pays.
Douceur et engagement
Aux antipodes, on trouve l’autre axe de soft power, rose et sucré cette fois-ci, au point que certains l’ont surnommé le sweet power, le “pouvoir doux”. Il est personnifié à merveille par BTS, un boys band au succès planétaire qui avec sa K-pop joyeusement hybride, a créé un univers non binaire aux couleurs angéliques qui réconforte et rassemble des communautés de fans dans tous les pays. Pour autant, rose ne veut pas dire guimauve.
Car ce qui apparaît comme une façon de fuir la réalité se vit plutôt comme une forme d’engagement. Car la fanbase de BTS via les réseaux sociaux constitue une véritable communauté d’échanges, d’entraide et parfois d’actions collectives. Du reste, Benjamin Joinau remarque que les fans actifs de BTS ne s’appellent pas pour rien ARMY, acronyme ironiquement martial pour Adorable Representative MC for Youth , les adorables représentants de la jeunesse. Le sweet power plus qu’un pouvoir doux se revendiquerait donc plus comme un pouvoir de la douceur.
La Corée du Sud aura donc réussi grâce à deux approches a priori contradictoires (l’une dystopique et violente, l’autre utopique et douce) à produire avec brio une forme d’espéranto culturel mondial: une langue planétaire pour les jeunes générations. Ce que les Etats-Unis peinent aujourd’hui à produire avec leur soft power vieillissant construit pour une grande part à partir du recyclage souvent paresseux de leurs vieux mythes super-héroïques.
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