Paul Vacca
Combien de personnes faut-il pour écrire un hit ?
Chacun fait ce qui lui plaît et le nombre semble être de peu d’importance. On peut très bien écrire un hit tout seul. Mozart ou Maurice Ravel avec son Bolero l’ont bien fait. Bob Dylan, Michael Jackson, Jean-Jacques Goldman, George Michael ou Georges Harrison aussi. Très classiquement encore, un hit peut s’écrire à deux, au gré des affinités artistiques : Lennon-McCartney pour les Beatles (même si chacun a écrit la plupart des chansons de son côté, mais était tenu contractuellement de les cosigner), Jagger-Richards pour les Rolling Stones ou Benny-Björn pour ABBA. Parfois, ce rôle se répartit naturellement entre l’auteur des textes d’un côté et le compositeur de la mélodie de l’autre comme dans le cas des duos Bernie Taupin et Elton John ou Alain Souchon et Laurent Voulzy.
Il y a eu aussi ceux qui ont officié à trois comme le trio d’auteurs-compositeurs Holland-Dozier-Holland faisant tourner à l’origine l’usine à tubes du label Motown. Parfois, les auteurs-compositeurs sont les membres d’un même groupe écrivant à quatre, comme U2, R.E.M. et Blur, ou à cinq comme Duran Duran…
Quoi qu’il en soit, une chose reste immuable : in fine, il faudra bien se partager le gâteau des droits de diffusion du titre en autant de parts que de personnes créditées à l’écriture. C’est mathématique : plus on est de fous, moins on touche de royalties. Et pourtant, de façon parfaitement contre-intuitive, on observe depuis des décennies une tendance de fond se dessiner : une inflation galopante des personnes créditées à l’écriture des hits.
Dans les années 1970, il fallait compter en moyenne 1,7 personne pour figurer au Top 100 du Billboard. Dans les années 2020, on est passé à 4,5. Et le phénomène, de nos jours, s’intensifie au point que les écuries d’écriture prennent parfois des allures d’armée mexicaine: Believe, interprété par Cher, a été écrit par 7 personnes ; Uptown Funk, interprété par Bruno Mars, en a nécessité 11 ; Beyoncé, pour la chanson Alien Superstar de son album Renaissance, a convoqué 24 artistes pour l’écrire ; et Sicko Mode, de Travis Scott, crédite pas moins de 30 participants.
Si dans les années 1970, il suffisait en moyenne d’1,7 auteur pour figurer dans le top 100 du Billboard, il en faut désormais 4,5 à l’heure actuelle.
Pourquoi faut-il plus d’auteurs-compositeurs pour fabriquer un hit aujourd’hui qu’hier ? Parce que le contexte de l’industrie musicale a été bouleversé par les technologies et le streaming. Le recours de plus en plus fréquent au sampling (à savoir l’échantillonnage de sons ou de motifs) ou à l’interpolation (c’est-à-dire la reprise d’un thème musical) est une des clés d’explication car il faut en créditer les créateurs. Et en cas de plusieurs emprunts, la liste s’allonge.
Autre piste d’explication : la multiplication des collaborations entre artistes – ou featurings qui sont un des modes de survie à l’ère du streaming –, faisant que chaque artiste arrive avec son écurie d’écriture pour ses parties vocales.
Désireux de mettre toutes les chances de leur côté, les superstars de la musique et leurs producteurs aiment s’entourer d’une équipe de spécialistes sur le mode de la “division du travail” comme dans n’importe quelle industrie. Chaque hitmaker cherche son virtuose du groove, son magicien de l’accroche musicale (le hook), son génie des paroles, son gourou de l’instrumentation, son as du sampling… Comme pour un hold-up, on s’entoure des meilleurs spécialistes.
Au passage, on ne manquera pas de noter l’ironie mordante de l’époque : pendant que beaucoup s’inquiètent – ou se mettent à rêver – que, grâce aux prouesses de l’IA, on puisse un jour se passer d’êtres humains, on n’a semble-t-il jamais eu autant besoin de personnes en chair et en os pour fabriquer un hit.
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