Eddy Caekelberghs
L’éternelle question démographique: entre peurs ancestrales et défis contemporains
La question a souvent été posée en termes démographiques. Parce que nos sociétés – malgré les discours mainstream – se vivent en permanence dans la concurrence. Dans la peur de perte de leadership, quel qu’il soit. Si un club sportif joue avec moins de joueurs, il se vit comme perdant ses chances. Et toute victoire devient alors héroïque. Il n’en va pas autrement dans les commentaires aujourd’hui lorsqu’on évoque, par exemple, la “petite” Ukraine face au “géant” russe.
Et pourtant, la Russie est objectivement en dénatalité croissante. Sa démographie régresse. Moins d’enfants, moins de jeunes adultes, sans compter les défections contestant la guerre et/ou le régime. Evidemment, cela reste un rapport inégal. L’Ukraine et ses 43 millions d’habitants face aux 143 millions en Russie. C’est du un pour trois. Mais on négligerait beaucoup à ne pas s’attarder plus en profondeur sur le versant russe, comme nous le propose l’anthropologue et essayiste français Emmanuel Todd dans son dernier ouvrage La Défaite de l’Occident.
En effet, depuis longtemps déjà, la question taboue en Russie est moins “combien de territoires puis-je conquérir, dominer, régenter ?” que “combien de terres historiques puis-je maintenir dans ces conditions” ! La Russie est le pays (continent ?) le plus vaste au monde et sans doute l’un des moins peuplés. Alors, au risque d’un fractionnement toujours menaçant depuis la chute de l’empire tsariste et de son avatar, l’empire soviétique, la réponse par l’autocratisme, la guerre et l’analyse en forme de citadelle assiégée (et vulnérable) hante le Kremlin. Cela n’excuse rien, cela explique un peu.
La question démographique ! Toujours et encore. Celle qui peuple déjà nos récits sur la transition présumée entre l’homme de Néanderthal et l’homo sapiens. Celle qui hantait déjà la France de 1963-1964 avec un débat parlementaire sur la dénatalité française qui amènera même à des votes politiques absurdes en augmentant les peines pénales prévues pour condamner l’homosexualité (hé, oui elle ne sera dépénalisée par Robert Badinter qu’en 1982 après l’abolition de la peine de mort !) censée propager et contribuer à la dénatalité. Et, à présent, moins de 700.000 bébés en France en 2023, une baisse de 6,6 % par rapport à l’année 2022 et près de 20 % de moins qu’en 2010.
La question démographique est de retour à Paris, Bruxelles, dans les palais du pouvoir à Pékin, Moscou ou ailleurs.
La question démographique est de retour à l’Assemblée nationale à Paris, dans les salons d’analyse économique à Bruxelles, dans les palais du pouvoir à Pékin, Moscou ou ailleurs. Avec un constat : l’accueil de la migration s’impose. Déjà, notre stabilité de population y est étroitement liée. Mais c’est politiquement explosif !
Certains peuvent imaginer forcer les femmes à enfanter plus. Ou, comme en Chine, mettre fin au régime de l’enfant unique, longtemps prôné par le régime. Ou en forçant le maintien de l’ordre patriarcal n’ayant d’autre place pour la femme qu’au foyer, pour élever des ribambelles d’enfants. Mais (qui s’en plaindra ?) l’évolution positive de l’alphabétisation des filles et des femmes les libère inexorablement de cela. Elles conquièrent leurs carrières. Par ailleurs, les incertitudes sur le monde, son avenir climatique, ses incertitudes politiques amènent les couples, chez nous, à faire le projet d’un enfant plus tard (vers 29 ans en moyenne). Avec, du coup, moins d’enfants dans la cellule familiale nucléaire que dans les familles “ collectives ” et intergénérationnelles.
C’est une tendance lourde, de plus d’un siècle, dans nos régions. Et pourtant elle plane encore comme une peur. Peur de perdre, de s’éteindre. Peur ancestrale…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici