Jules Gheude

Cet impossible redressement wallon…

Jules Gheude Essayiste politique

Le citoyen lambda y perd son latin. Le 18 juin 2022, dans une interview accordée au « Soir », le président du PS fermait la porte à une septième réforme de l’État, pourtant annoncée dans l’accord de la coalition Vivaldi dont le PS fait partie.

Paul Magnette précisait : « Nous avons consulté en interne et sur la question du rapport à l’Etat fédéral, pour nous les choses sont claires : une septième réforme de l’Etat en 2024 n’est ni nécessaire ni souhaitable. Parce que la Wallonie a les compétences nécessaires pour travailler à son redressement, contrairement au passé. »

Et voilà qu’aujourd’hui, dans un entretien accordé au magazine « Trends-Tendances », Malik Ben Achour, ce député PS qui fut à la pointe du combat contre la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib lors de l’affaire des visas iraniens, déclare : « Je ne suis pas hostile à une grande réforme institutionnelle qui permette aux Flamands de gagner l’autonomie qu’ils réclament. Dans ce cas-là, elle peut servir à un grand mouvement de redéploiement économique de Bruxelles et la Wallonie sur base d’un projet profond de réindustrialisation. »

Tout cela fait franchement brouillon.

Le fait est que, 43 ans après la mise en place officielle de la régionalisation, la Wallonie n’a toujours pas négocié son grand virage économique. Selon l’expression utilisée en colombophilie : les convoyeurs attendent…

« Les perspectives financières (NDLR : pour la Wallonie) sont très sombres », a tenu à rappeler Jan Peumans, l’ancien président du Parlement flamand, à l’occasion de la Fête flamande, le 11 juillet dernier. Et  d’expliquer : J »e viens encore de lire que la dette de la Région wallonne représente 257% de ses recettes. Bruxelles est à 163% et la Flandre à 58%. Pas étonnant que la Banque Nationale tire la sonnette d’alarme. Pourtant, les francophones parviennent à se comporter comme s’il ne se passait rien. Quand j’entends Di Rupo, il voit encore manifestement beaucoup de lumière à l’horizon. Cela s’appelle danser au bord du volcan. »

Selon Jan Peumans, « il y aura une septième réforme de l’État le jour où les francophones sentiront le couteau financier sur la gorge. »

Quelle crédibilité les responsables francophones peuvent-ils encore avoir, eux qui, depuis plus de 20 ans, se présentent toujours en « demandeurs de rien » pour finalement céder sur leurs principes en échange de liards ?

Dans une interview accordée à « Knack », le 1er février dernier, Philippe Destatte, le directeur de l’Institut Jules Destrée, plaidait « pour un peu plus de dignité wallonne » : « Si j’étais un élu wallon, je serais gêné de demander de l’argent à la Flandre aujourd’hui. Surtout après les flux d’argent considérables qui passent de la Flandre à la Wallonie depuis des années. (…) Et si les francophones commencent à négocier avec les Flamands en 2024 dans l’espoir d’obtenir de l’argent frais pour leur Communauté française virtuellement en faillite, je dis “non”. Faisons sauter cette Communauté française et transférons ses compétences aux régions de Bruxelles et de Wallonie. (…) La Wallonie a suffisamment de moyens pour prendre en charge des compétences comme l’éducation et la culture. De l’argent est dépensé inutilement en Wallonie, par exemple par le biais de subventions aux entreprises. Les entreprises elles-mêmes affirment que la Wallonie peut supprimer progressivement ce soutien. Si vous y parvenez, vous pourrez resserrer le budget wallon. Il en va de même pour les emplois subventionnés. La Flandre a cessé de le faire. Pourquoi la Wallonie continue-t-elle à y consacrer 1,5 à 2 milliards par an ? Il s’agit plutôt d’une dépense de luxe. Si l’argent est rare, il vaut mieux arrêter de le faire. Et puis il y a l’indexation wallonne des allocations familiales. Ne pouvez-vous pas aider les personnes qui ont vraiment des difficultés de manière plus ciblée ? Je vous appelle depuis dix kilomètres de la frontière française. Une fois la frontière franchie, il n’y a pas d’allocations familiales pour le premier enfant. La Région wallonne pourrait très bien décider de supprimer les allocations familiales pour le premier enfant également. »

À tout cela s’ajoute cette « hypertrophie politico-administrative » que dénonçait feu l’économiste Jules Gazon.

Ce sont les Wallons qui, en 1969, lors des travaux du « Groupe des 28 » en vue de réformer l’Etat, ont souhaité la régionalisation. On se souvient du député libéral Gérard Delruelle soutenant la proposition de François Perin : « La Wallonie doit recevoir quelque chose sur le plan économique en échange de l’autonomie culturelle que réclame la Flandre. Donnez aux régions des milliards pour régler leurs problèmes prioritaires. »

Mais il ne suffit pas de donner des milliards. Encore faut-il les utiliser à bon escient, ce qui, manifestement, n’a pas été le cas. Feu l’économiste Robert Deschamps avait bien pointé le mal : « La Wallonie vit au-dessus de ses moyens et en dessous de ses capacités. »

C’est d’un changement radical de mentalité que la Wallonie a urgemment besoin. Et cela ne se fait pas avec de l’argent. Les syndicats ont ici leur part de responsabilité. Selon une étude du Crisp, les Wallons ont totalisé 110 jours de grève en 2017 contre 39 pour les Flamands.

Jules Gheude, essayiste politique (1)

(1) Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Éditions Mols.

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