Paul Vacca

Ces réseaux que l’on appelait sociaux

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Il y a exactement 20 ans, le 4 février 2004, un certain Mark Zuckerberg lançait depuis sa chambre d’étudiant à Harvard un site appelé ­TheFacebook.com. Puis, sous le nom de Facebook tout court, une plateforme agrégeant trois fonctionnalités – le “social graph“, le “newsfeed” et le “like” – pour se muer en “réseau social” et devenir le phénomène que l’on sait. Aujourd’hui, on compte 3 milliards de personnes dans le monde – soit 60% des utilisateurs d’internet – actives sur Facebook (et accessoirement 2 petits milliards sur Instagram). La semaine dernière, la capitalisation de Meta a bondi de 200 milliards de dollars en un jour pour atteindre les 1.200 milliards de dollars.

Bref, tout va pour le mieux. Et pourtant, cela n’a pas empêché The Economist dans sa dernière livraison de proposer en couverture le titre choc : “The End of the Social Network”. A juste titre car les réseaux ne sont plus sociaux au sens où progressivement ils ne sont plus des lieux d’interactions mais des médias pour une consommation redevenue passive comme devant la télévision.

D’abord parce que les réseaux sont victimes de leur propre succès. Devant le rouleau compresseur des publications, il est tout simplement devenu impossible de maintenir une relation sociale classique par l’apparition chronologique des publications de ses contacts sur sa timeline. Pour gérer ce volume devenu trop envahissant, l’algorithme a été chargé d’écrémer les publications en ne sélectionnant à votre intention que celles qui sont les plus populaires parmi vos connaissances. Ce qui inévitablement détériore et distend les rapports sociaux avec vos contacts.

Le jeu s’est durci pour les désinformateurs politiques patentés maintenant que les conversations se tiennent dans les espaces privés de WhatsApp ou Telegram.

Mais aussi, et surtout, parce que l’arrivée en fanfare en 2017 de nouveaux entrants comme TikTok a chamboulé le paradigme social des réseaux. Là où Facebook et les réseaux classiques s’attachent à deviner ce que leurs utilisateurs sont susceptibles d’aimer en fonction des diverses interactions sociales établies avec leurs contacts, les nouveaux entrants comme TikTok s’ingénient, eux, à connaître directement les centres d’intérêt de leurs utilisateurs en les soumettant à un tapis roulant de courtes vidéos. Le “social graph” de Facebook fait place à l’”interest graph” de TikTok établi en fonction des vidéos sur lesquelles ses utilisateurs se sont le plus attardés. Un peu comme si on vous laissait face à un buffet et on regardait ce que vous prenez afin d’affiner les propositions.

C’est d’ailleurs ce qui nous avait fait qualifier TikTok de réseau “existentialiste”. Car, contrairement aux réseaux sociaux d’origine que l’on peut qualifier d’”essentialistes” dans la mesure où ils s’intéressent à notre identité et à nos interactions avec les autres membres de notre environnement social, TikTok ne s’intéresse qu’aux actes de ses utilisateurs, à savoir aux actions qu’ils engagent directement avec les contenus. Un modèle tout vidéo qui est en train de se généraliser à grand coup de copies : Meta a installé sur Facebook et Instagram une fonctionnalité appelée Reels, et d’autres suivent…

Le grand perdant de cette mutation, outre l’interaction sociale (mais faut-il vraiment s’en plaindre quand on voit ce qu’elle est devenue ?), c’est l’information. La presse prend de plein fouet ce changement de modèle. Mais par voie de conséquence, la désinformation y perd aussi. Car s’il est devenu plus difficile d’informer, il est aussi plus compliqué de désinformer. Le jeu s’est durci pour les désinformateurs politiques patentés maintenant que les conversations se tiennent dans les espaces privés de WhatsApp ou Telegram. Et ça, qu’on le veuille ou non, c’est plutôt une bonne nouvelle.

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