Paul Vacca

Bienvenue dans un monde tiktokisé

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Alors, TikTok fermera ou fermera pas aux États-Unis ? Si la question agite pour l’instant ceux qui officient sur cette plateforme outre-Atlantique, elle est de peu d’importance finalement. Car au fond, que nous utilisions TikTok ou non, et même qu’il disparaisse ou pas, l’espace que nous habitons a d’ores et déjà été radicalement transformé par cette plateforme chinoise. Elle sera quoi qu’il en soit présente sous une forme ou une autre : car depuis 2016, année de son lancement, le monde s’est progressivement “tiktokisé”.

D’abord, parce que quasiment tous les autres réseaux sociaux ont plagié la fonctionnalité à base de courtes vidéos en cascade avec ses effets de boucles algorithmiques : Instagram l’a fait avec ses Reels et YouTube avec ses Shorts dès 2020. Plus encore, les courtes vidéos initiées par la plateforme sont désormais devenues une forme d’esperanto de la communication sur internet. Tout le monde en fait usage : les artistes, les journalistes, les marques, les influenceurs et même le personnel politique. Ainsi, la plateforme chinoise est-elle parvenue à imposer, avec ses effets sophistiqués de montage, de sous-titrage et de sons, une sorte d’esthétique avec ses propres codes bien au-delà de son réseau : appelons cela l’”esthétik-tok”.

Ensuite, parce qu’au-delà de ce format, TikTok a donné un nouveau coup d’accélérateur au temps réel à l’ensemble de la planète, lui conférant un caractère plus frénétique encore. En rendant la viralité plus virale encore, en boostant l’engagement utilisateur grâce à son mystérieux et fascinant algorithme tout puissant, TikTok a réussi un double exploit paradoxal : réduire drastiquement notre capacité d’attention tout en l’ouvrant, dans le même temps, à une infinité de micro-niches. Jamais il n’aura été aussi facile de rendre une micro-tendance universelle en si peu de temps : TikTok, c’est la prophétie d’Andy Warhol, d’un futur où tout le monde pourra avoir son quart d’heure de célébrité, sous stéroïdes.

TikTok, c’est la prophétie d’Andy Warhol, d’un futur où tout le monde pourra avoir son quart d’heure de célébrité, sous stéroïdes.

Et enfin, parce que TikTok a profondément bouleversé l’horizon de l’offre culturelle. Un secteur de l’édition comme la new romance qui connaît un succès phénoménal aujourd’hui, au point que de nouvelles librairies spécialisées voient le jour, aurait-elle connu la même destinée sans TikTok ? Peu probable. Car grâce à la communauté BookTok, la new romance a trouvé une chambre d’écho émotionnelle et ludique parfaitement en phase avec ce nouveau genre littéraire qui désormais squatte les premières places des classements de ventes.

Mais c’est peut-être pour la musique que le rôle de dynamiteur culturel de TikTok est le plus probant. Une potion magique de viralité qui a permis à de nouveaux talents d’émerger (comme Lil Nas X avec Old Town Road grâce à une déferlante de vidéos humoristiques qui l’utilisaient comme son) ou bien à des anciens de ressusciter (comme Dreams de Fleetwood Mac qui, à la faveur d’une simple vidéo devenue virale, a retrouvé le chemin des charts). Potion, mais aussi poison parfois pour les artistes qui se retrouvent prisonniers du tourbillon incessant du réseau.

Une dualité dont peut témoigner la chanteuse britannique Charli XCX qui en 2021 se plaignait – sur TikTok ! – d’être forcée par son label de devoir sans cesse créer des “moments TikTok”, et qui en 2024 sort une chanson Apple qui a inspiré l’une des chorégraphies les plus virales de l’année sur le réseau social chinois et que ses fans reprennent en groupe à ses concerts.

Effet Tik et effet Tok, le réseau cultive le paradoxe au cœur de notre économie de l’attention : principal allié de promotion des artistes tout en étant, dans le même temps, leur opposant le plus sérieux.

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