Amid Faljaoui
Biden, Brexit, guerres en Irak et Afghanistan : ou comment le « biais d’escalade » corrompt le jugement des politiques et des chefs d’entreprise
Mais pourquoi donc Joe Biden a-t-il mis autant de temps à admettre qu’il devait se retirer de la course à la Maison Blanche ? Son état de santé calamiteux, son débat déplorable avec Donald Trump, ses pertes de mémoire successives et – fait aggravant – en public, tout aurait dû lui indiquer de se retirer plus tôt et laisser la place à Kamal Harris ou à un autre candidat du parti Démocrate. Au lieu de ça, Joe Biden s’est accroché jusqu’au dernier moment à sa décision de rempiler à la Maison Blanche. Estimant contre l’évidence même qu’il pouvait encore gagner et qu’il avait la forme physique pour le faire.
Mais comment est-ce possible de mettre autant de temps pour changer ainsi de décision devant l’évidence même ? Cette question, les économistes la connaissent bien. C’est un défaut psychologique dénommé le « biais d’escalade » ou « biais de justification des efforts ». C’est un défaut très humain pour une personne de continuer à investir dans une décision ou un projet, alors même que des preuves montrent que ce projet ou cette décision ne donnent pas les résultats escomptés.
Les personnes qui sont victimes de ce biais d’escalade ne sont pas folles, d’ailleurs elles nous entourent quotidiennement. Mais si ces personnes ne sont pas folles, elles sont motivées par le désir de ne pas gaspiller les investissements passés. Même si en persistant dans leur projet ou leur décision, ces personnes provoquent en réalité des pertes encore plus grandes. C’est ce qui explique la décision tardive de Joe Biden de se retirer de la course présidentielle. Mais c’est aussi ce qui explique le fiasco des Américains en Afghanistan ou en Irak.
Dans les deux cas, les Etats-Unis ont continué à investir des ressources humaines et financières énormes dans ces deux guerres, alors que des signaux très clairs ont montré que les objectifs initiaux, comme éliminer la source du terrorisme ou construire une démocratie, sont loin d’être atteints. Et malgré ces signaux, les Etats-Unis ont continué à engloutir des sommes folles dans ces deux pays. Plus près de nous, pensez à nos amis Britanniques, après le référendum de 2016 en faveur du Brexit, plusieurs gouvernements successifs ont continué à avancer dans cette démarche du Brexit, alors que les coûts et les complications liées au Brexit devenaient de plus en plus évidents. Juste pour respecter la décision initiale du peuple, les gouvernements britanniques ont refusé de voir l’évidence.
Mais attention ce biais d’escalade ou de justification des efforts n’est pas seulement un défaut des hommes politiques, il existe aussi en entreprise. Pensez à ces projets informatiques foireux, dans lesquels l’entreprise engloutit un pognon de dingue, alors que les résultats ne viennent pas et qu’au lieu d’arrêter, on continue d’injecter des fonds pour soi-disant « sauver » le projet. Et pensons aussi à nous-mêmes, quand on investit en Bourse et que l’action qu’on aime et qu’on a acheté chute fortement… au lieu de faire une croix, on va au contraire « moyenner » comme on dit dans le jargon. C’est-à-dire on va racheter la même action mais à un prix plus bas pour diminuer le coût d’achat moyen de cette action. Alors que bien souvent, on aggrave juste sa perte.
Et donc, le seul moyen de forcer quelqu’un à revenir sur une décision perdante, c’est qu’il ou elle soit bien entouré, par des personnes de confiance qui savent dire au patron ou au politique, « ça suffit maintenant ». Et c’est ce qui s’est passé pour Biden : et voilà comment un concept à la fois psychologique et économique, le biais d’escalade explique à lui seule la politique américaine.
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