Paul Vacca
L’idée d’un cinéma intégralement financé par les impôts est une pure galéjade
Si les fake news se propagent autant, c’est peut-être tout simplement parce qu’elles marchent mieux que la vérité.
Déjà, elles sont souvent moins ennuyeuses que la plate réalité. Elles sont aussi plus aérodynamiques comme l’énonce la loi de Brandolini qui souligne que s’il est rapide de confectionner une fausse information, il faut en revanche du temps et de la patience pour démonter une contrevérité, même la plus simpliste.
Ainsi, récemment, on a pu voir Charles Consigny, un avocat habitué des plateaux de télévision, s’en prendre sur Twitter/X à l’acteur Pierre Niney qui défendait sur ce même réseau la cause des hôpitaux publics en France au nom du service public. L’avocat bretteur porta le fer en disant ne pas comprendre le tweet de l’acteur sur le thème du service public alors que “l’industrie du cinéma est intégralement financée par ‘nos impôts’ et leur coûte très cher pour un résultat pour le moins aléatoire (et fait quelques millionnaires sur fonds publics)”.
Un joli strike. En un tweet, trois coups bas : 1) le cinéma français serait intégralement financé par les impôts du contribuable ; 2) pour des “résultats aléatoires” (entendez : pour des films qui ne marchent pas) ; et 3) il engendrerait des millionnaires repus d’argent public. Refrain connu de la “grande famille du septième art biberonnée aux subventions”.
Si les fake news se propagent autant, c’est peut-être tout simplement parce qu’elles marchent mieux que la vérité.
Or cette vision du cinéma français sous perfusion étatique ne tient sur rien. Elle a été à juste titre démontée notamment par Pierre Lescure, grand connaisseur du cinéma et de ses rouages devant l’Eternel, avec une grande clarté sur X. En effet, si le Centre national de la cinématographie est bien un établissement public, les aides qu’il est chargé de redistribuer n’émanent en aucun cas de fonds publics (et donc pas de “nos impôts”), mais sont le fruit des recettes perçues par le cinéma comme la vente de tickets, les droits TV, etc. Quant aux aides des organismes publics régionaux, elles sont toujours soumises (comme pour n’importe quelle entreprise) à des contreparties (emplois locaux, lieux de tournage, etc.) qui y trouvent un intérêt pour la collectivité. Même chose pour les financements des chaînes publiques: elles correspondent (comme pour les chaînes privées) à des préachats de droits de diffusion.
Donc l’idée d’un cinéma intégralement financé par les impôts est une pure galéjade qu’une poignée de minutes passées sur le site du CNC aurait pu aisément infirmer. Comment Charles Consigny ignorait-il ces arguments ? Et pourquoi continua-t-il de répandre cette fake news sur X une fois celle-ci clairement invalidée ? On retrouve là une des constantes chez les émetteurs de fausses nouvelles, quel que soit leur camp. Même mis face à leur erreur factuelle, ceux-ci ne sont pas prêts à abandonner la petite mélodie sournoise que distille la fake news, son petit air de flûte sous-jacent qui les rassure: ici l’idée selon laquelle la “culture” serait aux mains de privilégiés hors marché qui produisent des œuvres pour leur seul plaisir sur le dos de la communauté.
Petit problème. Cet air de flûte sournois est en dissonance totale avec ce à quoi on en est train d’assister grâce à ce type de financement redistributif : l’émergence et le triomphe d’Anatomie d’une chute de Justine Triet mais aussi du Règne animal de Thomas Cailley, de Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand et d’autres… Mieux que n’importe quel fact checking, leur rayonnement public constitue le démenti le plus éclatant à cette vision qui voudrait déguiser la culture cinématographique en un morne entre-soi vampirisant les fonds publics.
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