Amid Faljaoui

Agriculteurs, la légitime colère des invisibles

J’ai eu la chance d’animer un débat, il y a un an ou deux, devant 500 exploitants agricoles qui sont pour la plupart des fans de cette chronique économique.

En parlant avec plusieurs agriculteurs, je me suis rendu compte que je n’avais que de vagues notions des défis et enjeux de cette profession. C’est d’ailleurs l’une des sources de la colère actuelle des agriculteurs. Au fil du temps, ils sont devenus invisibles. Lorsqu’il est attablé devant les produits que son estomac va engloutir en quelques minutes, le consommateur n’a pas à l’esprit l’agriculteur qui est à la base de son alimentation.

Et voilà, trop c’est trop. Les invisibles se sont installés depuis quelques jours sur nos autoroutes, nos routes et surtout nos écrans. Ces agriculteurs sont en train de lutter contre leur disparition. D’ailleurs, l’un des meilleurs économistes au monde, l’écrivain Michel Houellebecq, l’écrivait il y a 5 ans déjà dans son roman Sérotonine. « Ce qui se passe en ce moment avec l’agriculture, c’est un énorme plan social, le plus grand plan social à l’œuvre à l’heure actuelle, mais c’est un plan secret, invisible, où les gens disparaissent individuellement dans leur coin ». Michel Houellebecq parlait évidemment des agriculteurs français, mais ce qu’il écrit est aussi valable pour nos agriculteurs wallons.

En fait, leur situation est, hélas, assez simple à décrire. Ils sont, non seulement invisibilisés auprès de la population, mais en plus ils sont pris en tenaille entre un marché international absolument dérégulé et un marché local, national qui est surrégulé et surréglementé. D’un côté, on demande à nos agriculteurs de respecter des normes sanitaires de plus en plus restrictives, mais de l’autre nos distributeurs peuvent aller se servir auprès de producteurs étrangers qui peuvent utiliser certains produits qui sont interdits chez nous et qui influencent le prix final à la baisse. C’est de la concurrence déloyale.

Si vous ajoutez à cela le côté tatillon des nouvelles réglementations, vous arrivez à une forme de planification soviétique qui ne dit pas son nom. Plusieurs agriculteurs interviewés par mes confrères de la presse écrite avouent que la surcharge administrative représente entre un et deux jours par semaine à temps plein pour une exploitation agricole normale. On peut ajouter à cela le braquage ou le hold-up de la grande distribution envers nos agriculteurs. Les agriculteurs ont beau expliquer que leurs coûts ont augmenté, que le mazout, l’engrais, les protéines, bref, que tout a augmentés sauf leurs prix, c’est peine perdue, la distribution se positionne comme le défenseur du consommateur et ça marche sur le plan marketing.

In fine, la variable d’ajustement ce sont à nouveau nos agriculteurs priés de s’adapter rapidement au « nouveau monde ». Résultat, c’est le vase qui déborde et provoque la colère qui rend enfin visibles tous ces agriculteurs au travers des tracteurs qui bloquent nos ronds-points ou nos entrées d’autoroutes. La réponse finale viendra de l’Europe, mais aussi de la prise de conscience que la fin du monde devra aussi tenir compte de la fin du mois. Et ça, ce n’est pas gagné.

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