Bruno Colmant
Acheter de l’or pour couvrir le risque du dollar?
Enseignant la finance depuis une trentaine d’années et ayant été le CEO de la Bourse de Bruxelles, je suis passionné par les marchés financiers. Pas par leur aspect pécuniaire, mais plutôt par leur capacité à interpeller l’humain dans la prévision des cours.
Je partage une interrogation: pourquoi le cours de l’or monte-t-il tellement? Car c’est stupéfiant : exprimé en dollars, ce cours a augmenté de plus de 40 % en un an, au risque de voir ce chiffre contrarié lors de la publication de ce texte.
Que se passe-t-il ? On cite volontiers les tensions géopolitiques, mais il y en a toujours eu, encore que la dangerosité planétaire militaire se soit intensifiée depuis l’invasion russe de l’Ukraine.
Il y a aussi la baisse des taux d’intérêt. L’or ne dégage aucun revenu : sa détention entraîne donc un coût d’opportunité, qui correspond à son financement. En d’autres termes, détenir de l’or contrarie le placement de son prix de vente à un certain taux d’intérêt. Plus le taux d’intérêt baisse, plus le coût d’opportunité associé à la détention d’or baisse aussi, ce qui a un effet positif sur le cours de ce dernier. Mais, plus que la baisse des taux d’intérêt, c’est la perspective de ces baisses qui suscite certainement un engouement spéculatif pour cette matière aurifère. L’idéal, pour le cours de l’or, c’est d’être soutenu par des taux d’intérêt réels négatifs, c’est-à-dire des taux d’intérêt nominaux qui, une fois l’inflation anticipée déduite, sont négatifs.
Il y a aussi les achats d’or par les banques centrales de différents pays, qui veulent garantir leur monnaie par un actif réel, avec, pour certains pays qui ressortissent aux BRICS, l’intention de dédollariser leurs échanges internationaux.
Mais je partage une intuition : je pressens que l’augmentation du cours de l’or est peut-être liée à la probabilité, certes faible, d’un problème lié au dollar. Quelle serait la nature de ce problème ? Un désordre institutionnel américain lié aux élections présidentielles, peut-être contestées, un endettement public américain hors de contrôle, avec un déficit budgétaire gigantesque (alors que ce pays est proche du plein emploi) et des baisses d’impôts promises par Donald Trump qui, sur 10 ans, correspondraient à 10 % du PIB mondial.
Les États-Unis ont toujours militarisé leur monnaie, et ont procédé à deux importantes dévaluations, en janvier 1934 sous la présidence de Franklin Roosevelt (1882-1945) et en août 1971 sous la présidence de Richard Nixon (1913-1993). Celle de 1971 créa un chaos sans précédent, faisant dire à John Connally (1917-1993), le secrétaire d’État au Trésor du président Richard Nixon, à des Européens : « Le dollar est notre monnaie, mais votre problème. »
Cette phrase fait écho à la maxime grinçante, mais fondée d’Henry Kissinger (1923-2023) : « Être un ennemi des États-Unis, c’est dangereux, mais être un ami des États-Unis, c’est fatal. » Et Donald Trump d’annoncer que les pays qui refuseraient le dollar comme monnaie d’échange internationale se verraient imposer des droits d’entrée aux États-Unis de 100 %.
Mon intuition est lointaine, et je l’espère démentie, mais, dans les prochaines années, et sauf à réintégrer un ordre américain planétaire, une dette publique des États-Unis qui approchera 40 % du PIB mondial, ce n’est pas tenable.
D’où, peut-être, la croissance du cours de l’or… qu’il n’est peut-être alors pas trop tard d’acheter.
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