Eddy Caekelberghs

Élections, médias et culture : le défi démocratique face aux extrêmes

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

Aux électeurs ? Ils ont certes le premier mot mais ils n’ont pas la maîtrise complète des systèmes politiques dans lesquels ils vivent. Du moins pas à court terme. Certains voudraient une élection à l’américaine où le parti en tête emporte la mise. Au diable le perdant, le gagnant s’impose et impose. Certains y voient un gage d’efficacité ou d’efficience. À discuter.

D’autres vantaient la France du système majoritaire à deux tours. Au vu de la radicalisation aux extrêmes inconciliables et des manœuvres de l’Élysée, la France a discrédité son modèle pour un temps certain. D’autres estiment, dès lors, que l’on doit privilégier le système électoral à un tour avec des coalitions. En Belgique comme dans de nombreux autres pays de l’UE, c’est la règle. Mais alors il faut du courage et de l’ambition pour former et gouverner une coalition, par essence, plurielle.

Et pendant ce temps, l’extrême droite gouverne le pays ou l’agenda en Slovaquie, à Budapest, en Italie, sous peu en Autriche et ailleurs encore. Et Elon Musk finance l’AfD en Allemagne, les Brexiter de l’UKIP et Nigel Farage en Grande-Bretagne. Poutine rit… Pourquoi cela ? Parce que l’électeur aurait eu tort ? Aucun démocrate digne de ce nom ne peut penser cela ou s’en contenter. Si l’électeur est appelé à exprimer un choix, à qui incombe de l’éclairer ? Normalement aux candidats et aux médias. C’est de moins en moins probant.

Les médias (tout est devenu média aujourd’hui) diffusent propagande, fake news, buzz et autres bruits qui noient les infos de fond, vérifiées, plus arides qui font moins l’audience. Et donc, les médias les plus sérieux succombent aussi de plus en plus aux sirènes économiques de l’audimat. Au détriment de la complexité, de l’effort sur la réalité et le sens, sur la pluralité des approches… Souvent, l’attractivité se fait au détriment de ce que les réseaux dits sociaux installent : le pouce levé ou baissé, à la romaine, comme dans les arènes.

Les médias les plus sérieux succombent aussi de plus en plus aux sirènes économiques de l’audimat. Au détriment de la complexité.

Et puis, les candidats aux postes… Y a-t-il encore des hommes et femmes d’État ? Qui ne succombent pas aux outrances et aux insultes ? De celles et ceux qui pensent que les enjeux valent plus et mieux que les petits calculs partisans ? Qui savent que le fait d’avoir fait plus de voix que les autres ne fait pas d’eux le “vainqueur” qui peut imposer 100% de ses vues aux possibles coalisés. Que composer une coalition et ambitionner de gouverner c’est aussi – en démocratie – respecter celles et ceux qui n’ayant pas voté pour vous souhaitent des inflexions ou orientations autres. Sans insulter le passé non plus. Et sans caricaturer ce qui fait société. Comme la culture, qui elle aussi laisse place non seulement à la diversité mais aussi à l’innovation, qui est par essence minoritaire mais souvent avant-gardiste.

Il n’y a pas que les fascistes et autocrates soviétiques (et dérivés), hélas, qui aient pu à ce point mépriser la culture et l’art pour les catégoriser en art mainstream (variable économique à la clé) et art “dégénéré” ou “inutile”. C’est aussi ce que font subir Hollywood et les plateformes américaines qui réduisent à peu les créativités alternatives.

À celles et ceux qui pensent ainsi, je leur offre – en guise de vœux (pieux sans doute) – cette citation attribuée à Churchill (à qui on préconisait de couper les budgets culturels au nom de l’effort de guerre) : “Mais alors pourquoi se bat-on ?” (si ce n’est pour ce qui fait civilisation). Je rejoins donc Ionesco qui disait : “Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprend pas l’art.” Cela vaut aussi en politique.

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content