Paul Vacca

À quel saint se vouer dans le luxe ?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

En 1650, à Port-Royal près de Paris, une fronde s’organise contre le pouvoir religieux en place à Versailles. Menés par Blaise Pascal avec son pamphlet les Lettres provinciales, les jansénistes s’attaquent à la “morale accommodante” des jésuites, à leur art de convaincre les âmes par le compromis, la rhétorique et le spectacle. Alors que, pour leur part, ils défendent une “grâce austère”, réservée à une élite méritante. Deux manières radicalement opposées de communiquer la foi en l’Église catholique : l’une expansive et universelle, l’autre silencieuse et élitiste.

Mais pourquoi donc ressusciter près de 400 ans après cette obscure querelle théologique entre jésuites et jansénistes ? Tout simplement parce qu’elle est en train de renaître sous nos yeux aux sommets du monde du luxe. Car, la semaine dernière, Hermès a détrôné LVMH de la première place des capitalisations du luxe. Au-delà du duel boursier entre la monomarque et le holding tentaculaire, c’est une passe d’armes entre deux philosophies, ou plus exactement, deux théologies du luxe radicalement opposées.

LVMH incarne une théologie jésuite du luxe : missionnaire, spectaculaire et universelle. Le salut y est diffusé en grande pompe dans des flagship stores pharaoniques comme autant de cathédrales. Chaque collection, chaque pop-up, chaque corner est un acte d’évangélisation pour les fidèles. La marque voue un culte aux rituels du spectacle et du divertissement : des parcours immersifs, des événements XXL, des VIP, des égéries, des influenceurs et des collaborations tapageuses concourent, à l’instar du défilé de Pharrell Williams sur le Pont-Neuf, à créer des liturgies pop. L’autorité est hiérarchique et incarnée : le pape Bernard trône sur LVMH, fréquentant les grands de ce monde, entouré de ses cardinaux exécutifs et de ses évêques du style à la tête de leurs épiscopats respectifs Louis Vuitton, Dior, Moët et Chandon, Hennessy, Bulgari ou Tag Heuer… Une gestion du temps cyclique et séculière, obéissant aux saisons de la mode, pour une visée téléologique claire : créer un royaume sans frontières où chacun peut entrer en communion avec la marque.

Ici, le temps n’est pas cyclique, il est suspendu, à l’abri des modes et insensible à l’écume des jours : les objets traversent les époques avec le désir de tutoyer l’éternité.

Hermès, en miroir, relève d’une théologie janséniste : élitaire, silencieuse et inflexible. La grâce y est rare, inaccessible à la foule : un sac Birkin ou Kelly ne se choisit pas, il se mérite. L’attente devient initiation car au moment où vous signez, l’œuf de l’autruche dont il sera tiré n’a pas encore été pondu. Pas de grand-messe spectaculaire : la boutique est épurée, presque monacale, le prosélyte y est reçu comme à confesse, où on lui enseigne la patience et l’humilité. C’est le geste artisanal qui est vénéré ici, transmis de main en main dans le silence recueilli des ateliers comme un serment sacré. Hermès vit (relativement) retranchée dans son Port-Royal de la rue du Faubourg Saint-Honoré, loin du tumulte des médias, des shows et des campagnes urbi et orbi pour garder pur son sens de l’épure. L’autorité y est inflexible mais discrète, transmise dans le conclave des initiés autour de la famille Dumas. Ici, le temps n’est pas cyclique, il est suspendu, à l’abri des modes et insensible à l’écume des jours : les objets traversent les époques avec le désir de tutoyer l’éternité. À l’opposé de la diffusion à la multitude, ici le salut est une affaire intime dans la fusion mystique avec l’objet sacré.

Alors, à quel saint se vouer ? Faut-il préférer le charisme ostentatoire de LVMH ou l’apparat silencieux d’Hermès ? En ces temps agités, le concile des investisseurs a préféré l’ascèse. Mais tout est affaire de foi. Car les voies de la Bourse, comme celles du Seigneur, sont impénétrables.

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