Bruno Colmant

2024 : l’année cruciale pour une Europe éclairée et solidaire

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Dans moins d’un an, nous aurons élu les membres du Parlement européen, dont le prestige a été terni par quelques pathétiques corrompus, indignes de la confiance publique.

Dans un texte extraordinaire datant de 1934 et intitulé “L’unification de l’Europe”, Stefan Zweig anticipait, une fois de plus, notre situation contemporaine : “Il faut prendre conscience des difficultés exceptionnelles qui font obstacle à la réalisation de l’idée européenne, car celle-ci n’appartient qu’à une mince couche supérieure et n’a pas pris racine dans l’humus des peuples. Reconnaissons la suprématie de l’idée opposée, le nationalisme. L’idée européenne n’est pas originelle ni instinctive, mais elle naît de la réflexion. Elle n’est pas le produit d’une passion spontanée, mais le fruit lentement mûri d’une pensée élevée. Il lui manque l’instinct enthousiaste qui anime le sentiment patriotique”.

C’est pour cette raison que nos gouvernants doivent promouvoir l’idée de l’altruisme du sentiment européen plutôt que d’entretenir l’idée d’une technocratie froide. Sans cela, le retour aux États-nations, qui, reconnaissons-le, ont tous terminé dans des hécatombes, deviendra inévitable. Il faut donc un éveil de l’intelligence et du sentiment. L’année 2024 sera décisive pour l’avenir de l’Europe.

Stefan Zweig pensait que les hommes sont des machines à oublier. Mais l’avenir n’appartient pas aux irresponsables et aux hommes guidés par des pensées imprécises qui conduisent à des actions indécises. Il faudra des femmes et des hommes de caractère. Ils devront prendre des risques à titre personnel. Car, dans les crises et les moments de perdition, ceux dont les schémas de pensée sont répétitifs et obéissants sont écartés par l’Histoire. Les hommes qui se laissent porter par des consensus flous et dominés par les peurs collectives ne sont ni acteurs des ruptures ni des moteurs du progrès. Plaçons donc l’année 2024 sous l’exigence de l’éveil de l’intelligence et de la recherche de la vérité plutôt que de nous abandonner aux flots d’émotions.

Ne serait-il pas temps que des voix politiques s’élèvent pour formuler des valeurs morales qui guideraient la gestion de nos pays ? Partout en Europe, des vestiges d’époques odieuses sont rappelés. Mais savent-ils, tous ceux qui adhèrent en toute bonhomie à des idées répressives, que chaque homme commence l’humanité et que chaque homme la termine ? Savent-ils que la liberté et la tolérance sont des combats ? Savent-ils que, pendant des milliers d’années, des hommes ont préféré se relever plutôt que de brandir des fusils, des bras et des mentons ?

Nos temps révèlent la fin d’un modèle. La fin d’un modèle de complaisance, de manque de vision, de déficit de perspectives. Le moment est venu de poser la question des temps nouveaux et de constater qu’un univers moderne se dresse, sans qu’on l’ait pressenti ni conjuré. Cet univers reste à réinventer.

À moins que l’exclusion et l’ostracisme soient des choix démocratiquement partagés et que la pensée choisisse de s’enliser, la question se pose de savoir ce que nous souhaitons aujourd’hui. Une société ouverte, guidée par l’intelligence, la justice et la sécurité ? Ou une société apeurée qui fragmente les classes sociales, les attachements territoriaux et les affinités linguistiques et culturelles ?

La solution, l’unique solution, passera par une solidarité sociale repensée et l’ambition de faire face aux défis sociétaux et environnementaux qui nous font face.

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