Carte blanche
Pour sauvegarder notre liberté de penser, nous devons apprendre le langage IA (et vite)
Le fossé que l’Intelligence artificielle (IA) est en train de combler entre Monsieur Tout-le-Monde et la Silicon Valley a de quoi nous inquiéter. Et avec raison.
Par Tone De Cooman, directeur de la création chez StoryMe, agence belge de production vidéo, qui expérimente les nouvelles technologies et les intègre dans la réflexion créative de son équipe.
Vu la vitesse à laquelle les nouvelles applications comme les images générées par l’IA, les voix synthétiques ou la polarisation des chatbots se multiplient, le risque existe bel et bien qu’à un moment nous ne puissions plus faire la différence entre l’illusion et la réalité. Pourtant, la solution est enfouie au cœur de la technologie même. Pour sauvegarder notre liberté de penser, nous devons apprendre à parler IA. Chez nous et au travail. Et vite, de préférence.
Ne vous méprenez pas ! Je suis un fervent adepte de l’IA. Les outils comme Midjourney, ChatGPT ou Gen-1 qui génèrent des images, des textes et des vidéos sur la base de descriptions textuelles ouvrent chaque jour la voie à de nouvelles possibilités et à de nouveaux univers. Accueillons dès lors favorablement cette vague de programmes IA inédits ! Mais bon… En parlant à mes proches et mes amis, j’ai réalisé qu’en tant que technophile, je me laissais facilement emporter. Le fossé que l’IA comble entre Monsieur Tout-le-Monde et la Silicon Valley dépasse déjà largement aujourd’hui celui comblé par le premier ordinateur ou smartphone. Or, ceux-ci avaient aussi à l’aube de leur existence l’apparence d’un Grand Canyon digital. Néanmoins, le TGV de l’IA cache un risque beaucoup plus grand, qui outrepasse le pur « largage » du commun des mortels. Nous sommes en effet à ce point dépassés par les évolutions qui s’enchainent à une vitesse effrénée et par le déferlement incessant de nouveaux stimuli et possibilités que nous en perdons notre sens critique. Et c’est là que le bât blesse. C’est là que l’IA menace notre vision du monde. Il est, par conséquent, grand temps de dominer notre enthousiasme de la première heure et de se pencher sur la manière dont l’IA va s’immiscer dans nos vies.
Gardons notre sang-froid et expérimentons !
Le fait que l’IA pénètre dans nos vies pour nous aider à progresser est plutôt positif. Mais cette positivité ne doit pas nous inciter à confier aveuglément nos tâches, notre créativité et notre vision du monde à l’IA. Nous ne pouvons pas faire fi de notre responsabilité de contrôler les informations et les données fournies par les outils d’IA. Sur le plan sociétal, nous n’avons été que très rarement confrontés à un tel défi gigantesque. La technologie ne doit pas nous effrayer. Même si l’évolution est d’une ampleur sans précédent, nous devons garder notre sang-froid tout en partant nous-mêmes, avec intérêt et optimisme, à la découverte des nouvelles possibilités qui s’offrent à nous. Mais rassurez-vous : nul besoin de devenir un génie en informatique ! Les technologies sont si conviviales que tout le monde peut les utiliser facilement. Aucune excuse donc, car comme Greg LeMond le déclara un jour : « It never gets easier, you just go faster ».
Nous devons apprendre à utiliser l’intelligence artificielle au quotidien comme nous avons appris à lire et à écrire l’alphabet.
Tone De Cooman
Directeur de la création chez StoryMe
Cela nécessite plusieurs nouvelles compétences que les différentes générations vont devoir s’approprier dès 2023. En tant que directeur de la création, j’ai heureusement un avantage. Car s’il y a bien une chose importante dans ma vie professionnelle, c’est de briefer clairement mon équipe pour parvenir au résultat escompté. Ces briefings demeurent importants dans ce nouveau monde que l’IA est en train de façonner. Si vous voulez recourir à l’IA pour faciliter votre travail, commencez par réfléchir à ce que vous voulez vraiment et ensuite formulez-le clairement. Si vous saisissez de piètres informations, les outils génératifs intelligents vous fourniront des résultats dépourvus de tout intérêt. Si, par contre, vos données sont pertinentes, les possibilités seront infinies.
La langue la plus parlée au monde, mais la plus rapidement biaisée
La compétence essentielle que nous devons tous maitriser rapidement est la faculté de cerner les limites de l’IA : le manque d’authenticité et la difficulté de voir si ces images, vidéos et déclarations sont réelles. Notre rôle en tant qu’être humain évolue du coup aussi : de « créateurs », nous devenons « curateurs ». Il nous incombe de sélectionner, traiter et présenter la créativité générée par l’IA. À défaut, notre vision du monde risque d’être influencée par de fausses images ou vidéos qu’il sera de plus en plus difficile de distinguer de la réalité. Si, en 2023, nous devons apprendre à parler le langage de l’IA, nous devons aussi surtout conserver notre pensée critique.
Entamons la discussion avec nos dirigeants pour éviter de nous laisser duper et convaincre de travailler plus vite grâce à l’IA. En tant que dirigeant, encouragez vos collaborateurs à expérimenter. Appliquons-nous à entrainer sur l’IA notre propre détecteur intégré d’authenticité. Osons prendre des décisions éclairées dans un monde où les possibilités de choix n’ont jamais été aussi énormes. Mais surtout, accueillons l’IA à bras ouverts pour qu’elle puisse apporter une plus-value dans nos vies : aussi bien chez soi qu’au travail. Et rien ne vous empêche de temps en temps de reprendre un bon vieux polaroid ou un disque vinyle. Ces technologies simples et tangibles nous permettent de rester en contact avec la réalité, avec le monde réel et authentique.
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