Carte blanche
Notre prospérité et sécurité menacées par la course au protectionnisme
Face aux mesures protectionnistes annoncées cet été par l’administration Biden, l’Europe déploie sa contre-offensive législative révélée récemment par la Commission européenne, puis discutées au sein du Conseil de l’Europe.
Par Pierre-Antoine Dusoulier, CEO de iBanFirst
Officiellement, l’enjeu est seulement écologique : « le Pacte vert » doit permettre à l’Union européenne de viser la neutralité carbone d’ici 2050. Mais, derrière les éléments de langage, personne n’est dupe. Le plan est une réponse en règle à « l’Inflation Reduction Act » et ses près de 400 milliards de dollars qui vont notamment irriguer les subventions et crédits d’impôts des entreprises et produits « made in USA ».
Face à cette menace, l’Europe a amorcé un virage à 180 degrés, assumant désormais une nouvelle doctrine de souveraineté européenne au service de la reconquête industrielle. Concrètement, chaque pays européen disposerait désormais d’un arsenal législatif pour soutenir ses entreprises les plus soumises au vent de la concurrence.
Sous nos yeux, une parenthèse inédite d’ouverture se referme sans que nous puissions pleinement en cerner les conséquences. Cette vague de protectionnisme est en réalité aussi profonde qu’ancienne.
Le Global Trade Alert témoigne, depuis 2009, d’une augmentation spectaculaire du nombre d’interventions de la part des Etats. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont accéléré le mouvement, générant une prise de conscience de notre dépendance.
Ce retour en force du protectionnisme se répand alors que les limites d’un pays sans usines se révèlent aux yeux de tous. Masques introuvables, médicaments en rupture ont reposé la question saine de notre souveraineté : quels biens devons-nous arrêter de sous-traiter ? Une prise de conscience indispensable, alors qu’en Europe l’industrie représente aujourd’hui 15 % de l’activité économique totale*, mais qui risque pourtant de jeter les bienfaits du libre-échange avec l’eau du bain.
Dans une amnésie collective, c’est comme si les atouts d’un monde ouvert disparaissaient d’un seul coup : selon la Banque mondiale, la population mondiale vivant dans l’extrême pauvreté a baissé de 80 % depuis 1981. De même, c’est bien l’ouverture qui a rendu possible une hausse spectaculaire du développement à travers le monde, combinant hausse du niveau d’éducation et accroissement de pratiques médicales. Un discours difficilement audible pour les sacrifiés de la mondialisation en occident, cette classe ouvrière et moyenne qui a affronté une concurrence sauvage décimant les territoires et les emplois.
Le plus terrible est, qu’une fois de plus, la fermeture des frontières qui se dessine, va se faire à leur détriment. L’inflation des derniers mois n’est qu’un avant-goût de la fin de l’abondance qui va toucher de plein fouet les classes moyennes et populaires, celles mêmes qui avaient tiré profit de l’ouverture des frontières pour gagner en confort de vie. Les importations à bas coûts représentent en Europe un atout important pour les économies et le pouvoir d’achat au sein des ménages. A titre d’exemple, une étude réalisée avant le covid (en 2018) par la Banque de France avait calculé que les ménages français économisent 30 milliards par an, soit environ 1 000 euros par ménage, notamment dans le secteur de l’alimentation ou de l’habillement, grâce aux importations à bas coûts.
L’escalade protectionniste va se faire ressentir dans les prochains mois, à bien des égards.
En établissant de fait des barrières à l’entrée, en conditionnant les soutiens à l’origine géographique, les mesures en germe des deux côtés de l’Atlantique vont automatiquement limiter la concurrence. En assumant des mesures de soutien public (directes via les subventions ou indirectes via les exonérations de charges), les États vont encore amplifier la fuite en avant budgétaire qui pèsera in fine sur les citoyens.
En actant officiellement la fin d’une tentative de régulation du libre-échange, les grands blocs s’engagent dans une spirale darwiniste dont à la fin il ne restera qu’un. Déjà certains petits pays européens s’alarment : l’assouplissement des aides d’Etat envisagées dans le « Pacte vert européen » va créer de facto une Europe à deux vitesses. La force de frappe de la France et de l’Allemagne à coup de subventions et de remises d’impôts risque de se faire à leur détriment.
L’hiver du commerce mondial s’annonce. La concurrence pure et parfaite est un mythe. Mais est-ce une raison pour renoncer à l’idéal d’un commerce équitable et à armes égales ?
L’escalade protectionniste est lancée. L’Occident y consent, revenu des failles d’une mondialisation débridée des décennies passées. Il oublie au passage ce qui a aussi fait la puissance d’un monde d’ouvertures et d’échanges : une solidarité de fait, qui n’empêche pas les conflits, mais accroît terriblement le coût de ces derniers. C’était d’ailleurs toute l’idée des pères de l’Europe. Nos enfants nous diront si le retour des protectionnismes est toujours l’antichambre des conflits.
Pierre-Antoine Dusoulier, CEO de iBanFirst
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