Carte blanche
Le rôle de l’École n’est pas de faire l’apologie du marché !
Le débat concernant le fameux semi-remorque « Labodoo » n’a selon moi rien de surréaliste ni d’affligeant. Le néolibéralisme nous pénètre tellement par tous les pores qu’on s’étonne de voir remise en question la présence d’une entreprise privée en tant qu’opérateur de formation. Il y a quelques années, c’est cette présence qui aurait été jugée surréaliste.
Odoo a-t-il le droit de faire circuler son LabOdoo (suite) ?
Nous avons reçu cette réaction de Jean-Pierre Kerckhofs, député PTB au parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles, en réaction à notre opinion sur le camion d’Odoo.
Comme nous sommes attachés à la liberté de débattre et comme, pour reprendre les propos attribués à Voltaire, «nous ne sommes pas du tout de votre avis, mais nous nous battrons toujours pour que vous puissiez vous exprimer», il nous semble intéressant de la publier.
Juste une observation. Dans son opinion, Jean-Pierre Kerckhofs concède deux rôles aux entreprises : celui de faire du profit et celui de mener une lutte idéologique pour répandre sournoisement les idées néolibérales au sein de la population. Il en omet un troisième, crucial, qui est que chaque entreprise a un rôle sociétal majeur, notamment pour aider à la formation des jeunes (mais aussi pour aider à décarboner l’économie, payer les retraites, inventer de nouveaux biens et services, favoriser l’inclusion…).
Mais chacun fera ici son opinion.
Car arrêtons de faire semblant de croire au Père Noël. Qui oserait affirmer qu’une entreprise privée investit un million d’euros dans une initiative sans y chercher le moindre intérêt ? Personne n’oserait le dire tout en espérant être pris au sérieux.
Alors quels pourrai(en)t être le(s) intérêt(s) d’Odoo ? Je ne vois que deux possibilités qui ne s’excluent d’ailleurs pas du tout.
1° Elle cherche à vendre. Procès d’intention ? L’enseignant qui a publié une Opinion sur le sujet déclare que lors du débriefing, les employés d’Odoo « vantent l’ergonomie de leur logiciel de gestion centralisé et sa gamme de prix attractifs ». Le CEO de l’entreprise ne nie pas et qualifie cette attitude de simple « maladresse ».
2° Elle mène une lutte idéologique qui ne dit pas son nom. Ça semble tout à fait clair lorsqu’on lit de la part des représentants de l’entreprise ou de ceux qui ont choisi de la défendre, des phrases telles que « nous voulons partager notre connaissance du terrain sur les meilleures pratiques business ». Ou bien « il s’agit d’ouvrir les esprits à la réalité du marché ». Ou encore « est-il normal de refuser d’expliquer à des jeunes comment fonctionne une entreprise ? ». On touche ici au coeur du problème. Quel sens donne-t-on à la notion d’éducation citoyenne ? Je lis qu’il s’agit d’aider à « comprendre le monde dans lequel on vit ». Personne ne niera cela. Mais s’agit-il de comprendre pour s’insérer dans le moule ou de comprendre pour voir où sont les problèmes, poser un regard critique et proposer des alternatives ? Car le monde dans lequel on vit n’est pas très joli en ce début de 21e siècle. Multiplication des guerres, creusement profond des inégalités, réchauffement climatique et autres problèmes environnementaux majeurs. Or je considère que c’est justement « les meilleures pratiques business » et « la réalité du marché » qui empêchent de trouver des solutions. C’est à cause du soi-disant réalisme économique que toute mesure un tant soit peu radicale, pourtant appelée par tous les experts pour garder notre Monde viable, est reportée aux calendes grecques. Et il est clair qu’une entreprise privée n’est pas la mieux placée pour effectuer ce regard critique.
Selon moi, Odoo vise les deux tableaux. Et c’est sans doute ce qui explique la réaction virulente et complètement à côté de la plaque de son CEO. Car répondre que l’investissement coûte un million alors que pour 4000 €, Odoo aurait pu avoir un panneau publicitaire pendant un an frise le ridicule. Comment comparer, en termes d’impact, un panneau avec une formation pendant une heure et demie donnée par des employés de l’entreprise ? Il faut arrêter de prendre les gens pour des idiots.
Et enfin on pourrait s’interroger sur la confiance qu’à l’entreprise dans sa démarche. Après tout, la Ministre a seulement décidé de saisir une Commission existante pour obtenir un avis sur la pratique. Odoo conteste-t-elle par principe le droit de cette commission à faire son travail ?
Jean-Pierre Kerckhofs, député au PRB et au PFWB.
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