Carte blanche

“Il faut une thérapie de choc à La Belgique”, vraiment ?

Dans un édito publié par Trends-Tendances le 19 juin 2025, on peut lire qu’il faut « une thérapie de choc à la Belgique ». Le pays souffrirait d’une situation budgétaire et économique catastrophique, comme en témoignent les récentes décisions des agences de notation vis-à-vis de Bruxelles et de l’État fédéral. Cette « situation préoccupante » serait « le fruit d’une trop longue attente à prendre le taureau par les cornes, surtout en Wallonie et à Bruxelles ». Certes, depuis les résultats des dernières élections, « on parle de changement », mais à en croire le texte, « cela ronronne encore trop ». D’où la nécessité, d’« accélérer les réformes socio-économiques dans notre pays. Oser une thérapie de choc ».

Un constat discutable

On peut toutefois s’étonner du constat selon lequel la Belgique se trouverait dans une « situation préoccupante » parce qu’elle a été incapable de se réformer jusqu’ici. En réalité, depuis les Gouvernements Martens-Gol des années 1980, nous n’avons connu qu’une suite quasiment interrompue de politiques d’austérité, avec une petite exception au début des années 2000.

En matière de « compétitivité », nous avons appliqué plusieurs sauts d’index, la multiplication des aides à l’emploi et autres « tax shift » en faveur des entreprises, la loi de 1996 sur le blocage des salaires ou encore diverses mesures de « flexibilisation du marché du travail » (ex : loi Peeters ou Jobs Deal pour les plus récentes).

Pays d’assistés ? Depuis 1999, la Belgique se définit comme un « Etat social actif » qui applique des politiques d’activation de plus en plus sévères vis-à-vis des bénéficiaires du CPAS, des chômeurs, des malades, des personnes âgées ou encore des immigrés.

État obèse et inefficace ? On ne compte plus les réformes de l’administration inspirées du « New Public Management », les privatisations et autres libéralisations intervenues dans des secteurs publics historiques (ex : communication, transport, énergies), tandis que les services publics restant souffrent pour la plupart d’un sous-financement dramatique (cf la justice, la santé ou l’enseignement).

On voit donc mal avec quelle « inertie » ou quel « refus des réformes » il faudrait désormais rompre, d’autant plus que bon nombre de ces mesures ont été validées – et parfois même directement proposées – par ces mêmes partis de gauche qu’on présente souvent comme s’accrochant coute que coute à leurs « tabous » (mais lesquels exactement ?).

En outre, si la situation belge est « préoccupante », elle ne l’est manifestement pas pour tout le monde. En effet, des dividendes records ont été versés en 2024 en Belgique, les marges des entreprises sont historiquement au plus haut depuis une dizaine d’années et les ultra-riches ont vu leur richesse bondir de 9% en un an.

Dans une étude parue il y a quelques mois, des universitaires ont également montré que les inégalités de patrimoine étaient bien plus élevées que ce qui était communément admis jusqu’ici dans notre pays, et qu’elles s’étaient creusées ces dernières décennies. Malgré tout, la Belgique continue de taxer bien plus lourdement le travail que le capital (c’est même de pire en pire, selon le Conseil supérieur des finances) tandis que la précarité et la pauvreté augmentent, sur fond de dégradation généralisée des conditions de travail.

Une expression qui n’a rien d’anodin

C’est dans ce contexte que Trends-Tendances publie un édito qui appelle à « accélérer les réformes et à oser la thérapie de choc ». L’emploi de cette expression est toutefois loin d’être anodin. La « thérapie de choc » a en effet été popularisée dans les années 1980 par des penseurs néolibéraux dans le cadre de leur croisade contre l’Etat social et les formes de « collectivisme » qui s’étaient généralisées à la fin de la Seconde guerre mondiale. Conscients du caractère profondément impopulaire de leur agenda néolibéral, ils en appelaient dès lors à l’appliquer aussi rapidement et brutalement que possible, en prétextant de sa soi-disant « nécessité économique ». Une illustration parmi d’autres de leur dédain assumé pour la démocratie, perçue au mieux comme un frein et au pire comme un obstacle à la loi du marché. 

Du Chili à l’ex-URSS en passant par de nombreux pays surendettés du Sud, nombreux sont celles et ceux qui ont gouté à ces « thérapies de choc », avec des conséquences sociales et économiques catastrophiques. Pourtant, pas plus là-bas qu’ici, il n’existe aucune « nécessité » ni « loi » en économie, hormis celles que nous imposent les limites planétaires (les seuls que les (néo)libéraux s’obstinent d’ailleurs à nier, ceci dit en passant). À l’intérieur de ces limites, tout est affaire de choix : que produit-on, comment, avec quelle (re)distribution, etc.

En Belgique, les choix qui ont été posés depuis trente ans visent très majoritairement à maximiser les gains du capital et à minimiser ceux du travail et de l’État (sans même parler des conséquences pour la planète). Invoquer leur « nécessité » n’est qu’une façon de masquer ces choix, de même que les intérêts qu’ils servent. En appeler à une « thérapie de choc » pour les appliquer encore plus vite et plus fort pose dès lors de sérieux problèmes de légitimité démocratique.  

Cédric Leterme, Docteur en Sciences politiques et sociales, Chargé d’étude au Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (www.gresea.be)

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