La question revient régulièrement : doit-on ouvrir de nouvelles mines en Wallonie pour participer à la transition énergétique et numérique ? La plupart des acteurs académiques et politiques s’accordent sur des arguments semblables : “oui, nous devons prendre notre part, l’Union européenne a fixé le cap, il en va de notre autonomie vis-à-vis de la Chine”. Et d’aucuns d’ajouter : “ce n’est pas juste de faire subir à des populations du Sud les pollutions de notre modèle de consommation”.
Ce discours écarte cependant des questions plus fondamentales quant à nos choix de société à l’heure de l’urgence écologique. Entre les énergies fossiles dont il faut impérativement s’affranchir et l’ouverture de nouvelles mines partout sur la planète, d’autres options, alternatives ou complémentaires, existent et doivent être explorées pour éviter une fuite en avant aux dommages irréversibles.
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Un petit rappel s’impose : l’industrie minière est la plus polluante qui soit, qu’il s’agisse de production de déchets solides, liquides ou gazeux. Elle détruit les sols, pollue l’air, anéantit la biodiversité et consomme des quantités gigantesques d’eau pour le traitement des minerais. Malgré les promesses marketées du secteur, la mine est une industrie lourde dont les techniques d’extraction et de traitement évoluent peu : dans leur grande majorité, les mines d’aujourd’hui fonctionnent comme celles d’il y a 100 ans.
Les promoteurs des futures mines en Belgique les promettent robotisées en souterrain, limitant par là les nuisances pour les populations environnantes. Soyons lucides : celles-ci feraient figures d’exceptions. Car à l’heure actuelle, 80 % des mines dans le monde sont des mines à ciel ouvert : d’immenses fosses permettant de brasser de gigantesques volumes de terres pour valoriser des minerais toujours moins concentrés dans la roche. Le consensus scientifique est clair : pour l’ensemble des minerais, les gisements sont de moins en moins riches, c’est-à-dire qu’il y a, au fil du temps et des exploitations, moins de minerais d’intérêt pour une même tonne de roche et qu’il faut donc en brasser de plus en plus pour une quantité semblable de minerais.
Prenons le cuivre, minerai central de la transition énergétique : le Chili (1er producteur mondial) est passé d’un taux de concentration de 1,41 % en 1999 à 0,65 % en 2016[1], ce qui implique un doublement des quantités d’eau et d’énergie nécessaires ainsi que des coûts de production plus élevés pour extraire une quantité identique. L’énergie utilisée y est en outre essentiellement fossile et l’eau est au centre de conflits d’usages, renforcés par la crise climatique. Une étude récente parue dans la revue Sciences montre que l’extraction de 25 ressources minérales (sur les 32 étudiées par les chercheurs) dépasse les limites de la disponibilité en eau. À titre d’exemple, c’est le cas pour 37 % de la production actuelle de cuivre[2]. Et la moitié de la production de cuivre se situe dans des régions avec des niveaux élevés de stress hydrique, où la demande en eau dépasse la quantité disponible (AIE 2021).
Notons par ailleurs qu’il est peu probable que l’ouverture de nouvelles mines en Europe entraîne la fermeture de mines ailleurs. Les projections des besoins en métaux sont telles que les nouvelles mines s’ajouteront probablement aux précédentes. De nouveaux besoins et de nouvelles applications participeront vraisemblablement à la course à l’accumulation technologique et à l’expansion numérique. L’Union européenne restera dès lors dépendante de pays étrangers pour toute une série de métaux qui soit ne se trouvent pas dans son sous-sol, soit ne suffisent pas à combler sa demande.
Alors que les ressources minières s’amenuisent et que les tensions sur leur exploitation s’intensifient, il nous faut revenir les pieds sur terre et reconnaître qu’on ne pourra pas continuer à extraire infiniment des ressources, comme les métaux, qui ne se renouvellent pas sur notre planète. Le prix écologique et humain à payer pour ces ressources est trop lourd.
Cadrer ou réduire l’enjeu de la transition à l’ouverture potentielle de mines en Europe, voire en Wallonie, néglige l’essentiel. Nous devons impérativement prioriser et discuter de l’allocation globale des métaux en intégrant la logique des 4R : « repenser, réduire, réutiliser et recycler ». Car avant de penser « extraction », d’autres pistes moins invasives doivent être explorées. « Repenser » nos besoins est prioritaire car poursuivre aujourd’hui l’objectif de produire des voitures électriques sans repenser la mobilité dans un sens plus large fait fi des limites écologiques de la planète. Il n’y a pas assez de métaux pour remplacer chaque véhicule thermique par un véhicule électrique. Pour convertir à l’électrique le parc automobile de Grande-Bretagne, il faudrait 2 fois la production mondiale actuelle de cobalt, les ¾ de la production de lithium et la moitié de celle de cuivre! “Réduire” la consommation de métaux dès la conception des objets et éviter la production d’une série d’objets inutiles toujours plus connectés et à la durée de vie trop courte gaspillant des ressources précieuses. “Réutiliser”, réparer et reconditionner des objets trop souvent considérés comme des déchets et non comme des ressources. Et en dernier recours, recycler les objets en fin de vie. Une fois ces étapes étudiées, recalculons les besoins en métaux et la demande minière.
Au-delà des slogans simplistes sur la réouverture des mines, une réflexion plus large sur notre modèle de société s’impose, en sortant des schémas habituels qui nous mènent dans le mur. Sortons d’une logique productiviste de croissance économique qui perpétue des rapports inégaux de consommation de ressources entre Nord et Sud. On ne peut aborder la question des mines de façon isolée sans l’inclure dans une réflexion systémique sur les défis auxquels nos sociétés font face. La décision politique sera-t-elle à la hauteur de la tâche ?
Géraldine Duquenne pour Etopia
[1] https://www.isige.minesparis.psl.eu/wp-content/uploads/Cuivre-Vf.pdf
[2] ISLAM et al., “Geological resource production constraint by regional water availability”, in Science, 13 mars 2025