Dans mes cours de management, j’ai maintes fois tourné en ridicule l’usine de currywurst de Volkswagen à Wolfsburg.
La direction de Volkswagen était complètement désespérée et avait tout tenté pour motiver ses employés. Primes, responsabilisation, crèches. Rien n’y faisait. Jusqu’à ce qu’un matin, un manager grassement payé propose une idée géniale. L’amour de l’ouvrier passe par l’estomac ? He bien fabriquons nous-mêmes des saucisses pour nos ouvriers ! Quelle fierté en découlerait ! Le secret de la motivation ouvrière était là, sous leur nez bas-saxon : une currywurst bien allemande et faite maison.
En 1973, l’idée devint réalité et l’usine de currywurst Volkswagen vit le jour. La direction envoya ainsi un signal fort à la concurrence. « Nous sommes enracinés dans la région, dans la culture allemande. C’est ainsi que nous remporterons des batailles contre les Japonais. Vous avez le système Toyota, nous avons la currywurst allemande. »
Mais tout change quand les ventes de voitures commencent à baisser. À cause, entre autres, d’un scandale du diesel et d’une image vieillissante. Ou encore du lancement d’un modèle de luxe où beaucoup se demande si doubler le prix suffira à bâtir une image digne de Bentley. La Phaeton fut un échec. Mais la currywurst VW est restée.
La currywurst reste
Mais les temps difficiles exigent une nouvelle direction. Et chaque fois la question de l’usine de saucisse et de son personnel revenait. Fallait-il externaliser cette usine de saucisses ?
Une saucisse, on la mange ; une voiture, on la conduit. Un professeur de management vous fera remarquer en un clin d’œil que la culture, la structure, les systèmes, les valeurs, les normes et la confiance y sont totalement différents que dans une usine de voitures. Cette différence fait aussi que l’implémentation de systèmes globaux n’aboutit jamais vraiment. Ou classer les employés de l’usine de saucisses dans les systèmes des fonctions ? En quête des compétences clés ? N’oubliez pas notre usine de saucisses !
J’ai bien ri aux dépens de nos voisins allemands, jusqu’au jour où j’ai eu un collègue allemand. Ralf Wetzel avait une vision un peu différente du phénomène. Toutes les entreprises ont des façades, des symboles, des récits.
Une manière originale de maintenir la façade
Le grand cabinet de conseil McKinsey vante ainsi à l’infini son éthique stricte, son respect des clients, et bien plus encore. Ils affirment traiter leurs clients comme leurs collègues. Jusqu’à ce qu’un nouveau scandale éclate, et qu’on lise des récits étonnants sur la manière dont ils se traitent entre eux. On espère alors simplement qu’ils traitent leurs clients avec un peu plus de respect.
Dans cette optique, l’usine de saucisses n’était qu’une manière originale de maintenir une façade. Un peu comme : votre banquier, votre meilleur ami. Votre église, garante de la sécurité de vos enfants.
Nous montre-t-elle le chemin?
La presse internationale a récemment annoncé que l’usine de saucisses existait toujours… et que Volkswagen produit désormais plus de saucisses que de voitures. La concurrence restant rarement inactive, aurons-nous bientôt des sushis Toyota, des pizzas Fiat et des hot-dogs Ford ?
De plus, Donald Trump qui pense probablement que Gand est au Danemark pourrait être convaincu que Volvo pourrait ouvrir à Détroit une usine de waterzooi gantois (ragoût typique de Gand), afin de réduire à zéro les droits d’importation sur les Volvo. Des experts de diverses écoles de commerce, y compris Wharton (où Trump a étudié), ont en effet calculé qu’une telle usine de waterzooi serait beaucoup moins chère et plus flexible qu’une usine automobile. Ou comment une modeste usine de saucisses, autrefois moquée par les professeurs de management, pourrait aujourd’hui nous montrer la voie.