Philippe Ledent

Indicateurs économiques: autant avancer à reculons dans le brouillard

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Dans la période actuelle, il faut avouer que la plupart des indicateurs économiques ne sont pas d’une grande utilité pour estimer la croissance économique des prochains mois.

Le choc du Liberation Day a provoqué un saut dans l’inconnu. Dès lors, la plupart des statistiques publiées jusqu’ici, et même dans les prochaines semaines, ne donneront qu’une image du passé qui n’aide pas vraiment à comprendre l’avenir. Prenez le PIB belge qui, de manière surprenante, a progressé de 0,4% au premier trimestre. En imaginant qu’il s’agissait d’un début de reprise (ce qui est discutable en soi…), on ne peut plus s’y fier pour les prochains trimestres, tant le contexte a changé.

Il faudra attendre encore un mois ou deux avant d’obtenir les premières données fiables sur les conséquences de la politique chaotique de Donald Trump. D’ici là, les informations resteront partielles ou inutilisables. Sans compter que les signaux qu’elles donneront pourraient très rapidement être dépassés une nouvelle fois, en fonction des futures annonces du président américain.

Une telle situation rappelle, en fait, l’année 2020. Lorsque le covid s’est répandu de manière brutale dans le monde en mars 2020, les données économiques du passé n’avaient plus de valeur : elles n’étaient que le reflet de l’avant-covid. Ce n’est que plusieurs mois plus tard que les indicateurs donnaient une image un peu plus fiable des dégâts de la pandémie sur l’économie mondiale. L’histoire s’est encore répétée à partir de février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

D’autres données ont eu, il faut l’avouer, un comportement étrange récemment. Prenez par exemple les indicateurs de confiance des consommateurs américains. Les derniers résultats laisseraient entendre que les ménages semblent perdre confiance quant au dynamisme de l’économie dans les prochains mois. Ils craignent également une augmentation de l’inflation. Cela devrait être un signe alarmant (de récession ?).

Ces mêmes indicateurs nous ont trompé ces dernières années

Néanmoins, ces mêmes indicateurs nous ont trompé ces dernières années. Bien sur, les ménages américains ont été affectés par le ralentissement des créations d’emplois, la hausse des taux ou encore la fin du moratoire sur les prêts étudiants, ce qui s’est traduit par d’autres périodes de perte de confiance. Mais jusqu’à présent, si les ménages les plus faibles ont effectivement souffert des chocs négatifs, les 20% des ménages les plus aisés ont eu les poches suffisamment profondes pour augmenter leurs dépenses de consommation et maintenir la croissance à flot, défiant les prévisions de ralentissement.

Parfois, il faut accepter qu’on marche à reculons, dans le brouillard, sur un sol mouvant. Ce n’est pas l’idéal pour savoir où l’on va…

Il semble donc que l’après-covid ait été marqué par ce que l’on appelle des changements structurels dans les économies, si bien que les relations stables du passé, qui constituent la base de la prévision économique, doivent être réinitialisées. Mais comment les réestimer aussi longtemps que la poussière des chocs passés et présents n’est pas retombée ? Bref, l’exercice de prévisions économique est particulièrement délicat en ce moment. Parfois, il faut accepter qu’on marche à reculons, dans le brouillard, sur un sol mouvant. Ce n’est pas l’idéal pour savoir où l’on va…

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