Thomas Cook et les leçons d’une faillite: les investisseurs peuvent-ils espérer récupérer quelque chose ?

Lundi 23 septembre. La faillite est prononcée. Les salariés du siège central de Thomas Cook au Royaume-Uni quittent les locaux pour la dernière fois. © Belgaimage

Thomas Cook est en faillite, l’heure est aux questions pour les investisseurs. Les actionnaires et détenteurs d’obligations peuvent-ils espérer récupérer quelque chose ? Comment détecter qu’une entreprise risque de graves problèmes financiers ?

Lundi 23 septembre, le couperet tombe. Thomas Cook n’est pas parvenu à trouver les fonds nécessaires durant le week-end et dépose le bilan. Une faillite lourde de conséquences. D’abord pour les 22.000 salariés du groupe britannique et les 600.000 touristes se trouvant à l’étranger. Ensuite pour le secteur du tourisme en général qui subit un véritable bouleversement.

Thomas Cook était le deuxième tour-opérateur mondial. Il avait inventé les voyages organisés en 1841. Le pionnier s’est laissé rattraper et dépasser par la concurrence jusqu’au point de non- retour. Une débâcle qui affectera aussi ses partenaires, allant des hôteliers aux loueurs d’avions en passant par les compagnies aériennes comme SN Brussels Airlines qui assurait 80% des vols de Thomas Cook Belgique. Dans ce contexte, le sort des investisseurs pourrait apparaître dérisoire. Il est pourtant crucial, car il a précipité la chute du voyagiste britannique.

L’échec du sauvetage

En juillet, Thomas Cook affirmait être en discussion pour un plan de refinancement de 750 millions de livres. Fin août, Thomas Cook annonce un plan d’un montant total de 900 millions de livres. Dans les grandes lignes, le groupe chinois Fosun devait injecter 450 millions de livres pour prendre le contrôle du pôle voyages et les créanciers (banques, obligataires) acceptaient d’échanger 450 millions de livres de dettes contre le contrôle de la division aérienne. L’accord final n’est jamais intervenu. Les discussions ont capoté à la suite de la demande d’une facilité supplémentaire de 200 millions de livres destinée à faire face aux besoins saisonniers.

C’en était trop pour le groupe chinois, déjà premier actionnaire de Thomas Cook avec 18% du capital, et les créanciers. Le gouvernement britannique n’a pas accédé non plus à une demande d’aide d’urgence de 150 millions de livres, estimant qu’elle n’aurait fait que prolonger un peu les activités.

Le marché du tourisme a visiblement connu un bouleversement. Selon Sean Tipton, porte-parole de l’association britannique des agences de voyages et tour- opérateurs, la part des forfaits vacances a fondu de plus de 90% à moins de 50% en 30 ans. Cette évolution était toutefois compensée par la croissance générale du tourisme. Mais cela n’était plus le cas en 2019, Thomas Cook ayant annoncé une chute de 12% de ses réservations estivales.

Perte totale pour les actionnaires

Sur les marchés, chacun compte désormais ses pertes. Selon Neset Kockar, deuxième actionnaire de Thomas Cook, le groupe va désormais être vendu, en globalité ou morceau par morceau. Le liquidateur procédera ensuite au partage du fruit de la vente.

Pour les actionnaires, ” il n’y a aucune perspective de retour éventuel “, selon un site du gouvernement britannique. Les actions ayant été délistées des marchés réglementés, les autorités britanniques attirent l’attention des actionnaires sur ” les approches de tiers qui proposeraient de céder leurs actions moyennant le paiement anticipé de frais “. Ce ne sont ni plus ni moins que des fraudes.

Cette perte totale s’explique simplement par le fait que les actionnaires sont les derniers indemnisés dans le cas d’une liquidation et que le produit de la vente ne sera vraisemblablement pas suffisant pour rembourser entièrement les différents créanciers.

Fosun et son président Guo Guangchang, surnommé le Warren Buffett chinois, y perdront ainsi un total de 1,5 milliard de dollars investi dans le groupe britannique depuis 2015.

Jérôme Van der Bruggen (Degroof Petercam)
Jérôme Van der Bruggen (Degroof Petercam) ” Le point de départ d’une analyse est le modèle d’affaires de l’entreprise : offre-t-il une réelle valeur ? “.© pg

Récupération aléatoire pour les obligataires

La donne est sensiblement différente pour les détenteurs d’obligations. Pour se faire une idée de ce qu’ils pourraient récupérer, le moyen le plus facile est de se fier aux cours des obligations. Ils reflètent ce que les marchés espèrent récupérer. A l’heure d’écrire ces lignes, les obligations Thomas Cook ne cotent qu’environ 6% de leur valeur nominale. En abrégé, celui qui a investi 100.000 euros dans une obligation Thomas Cook à échéance 2022 peut espérer récupérer 6.000 euros.

Le cours est toutefois très volatil et le montant reversé aux obligataires ne sera pas connu avant quelque temps. ” Certains hedge funds sont spécialisés dans ce genre de titres “, explique Jérôme van der Bruggen, responsable des investissements chez Degroof Petercam. Ils sont coutumiers des législations en vigueur, des différences (minimes) qui existent dans l’ordre de priorité des créanciers et obligataires. Ils peuvent aussi prendre d’importantes positions pour peser dans les négociations. Ce n’est donc clairement pas un marché destiné aux particuliers.

” Pour l’investisseur privé, il est important d’agir en amont, explique le spécialiste de Degroof Petercam. D’un point de vue purement comptable, la génération de cash constitue un indicateur important, mais qui ne se suffit pas à lui-même. ” Si l’on prend l’exemple de Thomas Cook, son flux de trésorerie libre ajusté n’a basculé dans le rouge qu’en 2018 et d’à peine 18 millions de livres.

” Le point de départ d’une analyse, poursuit-il, est le modèle d’affaires de l’entreprise : offre-t-il une réelle valeur ? “. Dans le cas du voyagiste, ce n’était plus réellement le cas depuis la multiplication des offres en ligne, des sites de notation ou des services annexes proposés par les compagnies aériennes.

Ensuite, ” il est indispensable d’examiner la structure de capital. Si le modèle d’affaires nécessite beaucoup de capitaux, le financement est-il assuré à long terme, l’entreprise dispose-t-elle des liquidités et lignes de crédit suffisantes pour faire face aux creux saisonniers et cycliques ? ” C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus, affirmait ainsi Warren Buffet.

Evidemment, tous les secteurs d’activité ne sont pas logés à la même enseigne. L’industrie lourde, nécessitant d’importants capitaux et sensible à la conjoncture, est ainsi plus sensible. Le fondeur de zinc Nyrstar a ainsi connu une vaste restructuration afin d’éviter la faillite. Le groupe a dû se résoudre à céder 98% de ses activités opérationnelles en échange d’un réaménagement de ses dettes.

” Cela ne signifie toutefois pas qu’il faut éviter les entreprises susceptibles de connaître des creux d’activités importants. Au contraire, ces creux peuvent être synonymes d’opportunités à condition que l’entreprise dispose des capitaux nécessaires pour passer le cap. ”

Bouleversement numérique

Par ailleurs, de nombreuses entreprises doivent faire face à l’évolution technologique. Traditionnellement, la grande distribution est ainsi un secteur plutôt protégé par rapport au risque de faillites. Les distributeurs ont en effet l’avantage de souvent encaisser le produit de leurs ventes (aux consommateurs) avant de devoir payer leurs achats (30 ou 60 jours après la livraison). Cela ne les prémunit toutefois pas d’un manque chronique de rentabilité s’ils ne parviennent pas à s’adapter à l’évolution de la concurrence : e-commerce, supermarchés de proximité, low cost.

Le secteur automobile est aussi secoué par des bouleversements qui pourraient mettre à mal les acteurs qui ne parviennent pas à s’adapter. Le secteur de l’énergie fait face au défi du renouvelable et doit de plus jongler avec la volatilité des cours. Le secteur bancaire doit se réinventer dans un monde numérique et de taux historiquement bas.

Pour Jérôme van der Bruggen, ces évolutions et la faillite du voyagiste illustrent aussi le bénéfice de la gestion active, les fonds passifs investissant dans toutes les composantes de leur indice sous-jacent même si celles-ci sont en difficulté comme Thomas Cook.

Une faillite évitable ?

Thomas Cook était le deuxième tour-opérateur mondial. Il avait inventé les voyages organisés en 1841.
Thomas Cook était le deuxième tour-opérateur mondial. Il avait inventé les voyages organisés en 1841.© Belgaimage

Thomas Cook, c’est avant tout l’histoire d’un homme. ” Quand Jules Verne publie, en 1872, son Tour du monde en 80 jours, les Anglais lisent dans le Times le récit du véritable voyage de

Thomas Cook, parti deux mois plus tôt pour son premier tour du monde organisé “, peut-on ainsi lire en quatrième de couverture de Thomas Cook, L’inventeur des voyages. Ses petits-enfants ont revendu l’entreprise à la Compagnie belge des wagons-lits en 1928.

Nationalisée en 1948 et reprivatisée en 1972, l’entreprise britannique n’innove plus, mais profite d’un marché en plein boom. Progressivement, sa position se fragilise. En 2007, le groupe tente de pallier ses maux en fusionnant avec My Travel, très actif sur les destinations à la mode comme la Scandinavie et dans la vente en ligne. Mais en 2011, le printemps arabe et l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull suffisent à mettre le groupe à genoux. Le 22 novembre, l’action s’effondre de 75% alors que le management annonce le report de la publication des résultats et des négociations avec ses créanciers. En 2013, les marchés reprennent espoir après une vaste recapitalisation. En 2015, il renforce encore sa position financière en faisant entrer le groupe chinois Fosun dans son capital. Il est question de développement en Chine, d’échange de bons procédés. L’espoir est de courte durée.

Les dirigeants se succèdent et évoquent à tour de rôle l’impact du Brexit, de la météo, des taux de change, etc. Le 16 mai 2019, Thomas Cook dévoile une perte semestrielle de 1,5 milliard de livres à la suite surtout de la déprécation comptabilisée sur My Travel. Cette perte symbolise l’échec de la stratégie du groupe britannique. Il n’a jamais trouvé la tactique à adopter face au développement conjoint des compagnies aériennes low cost, des sites de réservation en ligne (Expedia, Booking, Airbnb, etc.) et des agences spécialisées en ligne. Thomas Cook a traîné sa dette de 1,4 milliard de livres comme un boulet, d’autant plus qu’elle lui sert essentiellement à financer ses besoins de cash saisonniers. Le groupe n’a jamais pu ou voulu disposer des moyens nécessaires pour s’aligner sur la nouvelle concurrence. Airbnb a, par exemple, levé 4,4 milliards de dollars depuis sa création en 2008, selon PitchBook.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content