En cause : la protection qu’une loi de 1981 accorde à David et Laura, ses beaux-enfants. Le problème est que cette disposition civile n’est pas reconnue par le fisc, souligne l’avocat Gaëtan Van Elder, de sorte que Laeticia H. serait imposée sur un patrimoine quasiment double de celui dont elle hérite véritablement. Il faut remédier à cette anomalie qui, pour éviter une injustice, en génère une autre, affirme-t-il dès lors.
Réalité de plus en plus fréquente, les familles recomposées posent divers problèmes, dont le plus souvent évoqué est sans doute la protection des enfants issus de la première union. La préoccupation exprimée est qu’ils ne soient pas laissés à l’écart lors de la transmission du patrimoine de leurs parents. Ils bénéficient en réalité d’une double protection par le biais de la conversion d’usufruit.
Conversion obligatoire
Le fil rouge de cette double protection est en effet la conversion d’usufruit, explique Me Van Elder. Premier point : l’époux survivant bénéficie d’un droit d’usufruit, légal, testamentaire ou trouvant son origine dans une donation ou un avantage matrimonial. Cet usufruit le protège, mais ne pourrait-il, au fil du temps, menacer les intérêts des enfants issus de la première union du conjoint décédé ? Ceux-ci bénéficient toutefois d’une mesure de protection : ils ont le droit d’exiger la conversion de l’usufruit qui est dévolu au conjoint survivant et ce, sans que le tribunal ne dispose du moindre pouvoir de s’y opposer.
Deuxième point : que signifie cette conversion ? “La conversion est l’opération qui aboutit à ce que l’époux survivant reçoive, en échange de son droit d’usufruit, une part de la succession, un capital, la propriété de certains biens successoraux ou encore, plus rarement, une rente indexée, explique Gaëtan Van Elder. Cet acte juridique s’opère en considération de l’âge de l’usufruitier et de son espérance de vie. Des tables de conversion établies par le ministère de la Justice retiennent des taux fixés selon l’âge et le sexe du survivant. Ils sont à appliquer à la valeur de marché des actifs successoraux. Ce droit constitue une première protection par comparaison à la situation de descendants communs, c’est-à-dire ceux qui sont aussi les enfants du conjoint survivant. Ils peuvent pour leur part être privés de l’exercice de ce droit, aussi étonnant que cela puisse paraître. Par testament par exemple.”
20 ans de plus !
Ce n’est cependant pas tout. En effet, introduite par la loi du 14 mai 1981, la règle dite “des 20 ans” constitue une seconde protection des intérêts des enfants issus d’une précédente union.
Concrètement, elle vieillit artificiellement le conjoint survivant en lui attribuant un âge équivalant à celui de l’aîné des enfants du défunt, majoré de 20 ans. Me Van Elder illustre son propos par un exemple concret… qui ne peut laisser personne indifférent. Soit l’épouse d’un célèbre chanteur, Laeticia H., âgée de 42 ans au décès son mari. On suppose, pour les besoins de la démonstration, qu’il est décédé en Belgique. Laeticia se trouve en concours avec les deux enfants, David et Laura H., issus d’une union antérieure du défunt. L’aîné, David, est âgé de 50 ans. À la demande de David et Laura, l’âge fictif de Laeticia est alors porté de 42 à 70 ans (50 + 20), pour la conversion de l’usufruit exigée par les beaux-enfants et pour la fixation du taux d’imposition.
La règle dite “des 20 ans” constitue une seconde protection des intérêts des enfants issus d’une précédente union.
Sur cette base, la valeur de l’usufruit de Laeticia, déterminée selon les dernières tables de conversion publiées au Moniteur belge, s’élève non pas à 64,36% (le taux de conversion correspondant à son âge réel) de la masse successorale, mais à 33,37%. Sur le patrimoine du défunt d’une valeur de 100, Laeticia disposera donc de droits d’une valeur de 33,37% et ses beaux-enfants de 66,63%.
Une profonde injustice
Si cette règle trouve sa justification dans une vocation d’équité civile, elle induit sur un plan fiscal une profonde iniquité financière, souligne Me Van Elder.
“L’administration fiscale ne tient en effet pas compte de la fiction légale des 20 ans lors de l’établissement de la base imposable. Pour les besoins du calcul de l’impôt des successions, elle convertit l’usufruit du conjoint en considération de son âge réel. Selon la table fiscale consacrée par l’article 21 du Code des droits de succession, l’usufruit converti équivaut à une base taxable d’une hauteur de 56% au lieu de 38% si la règle civile ‘des 20 ans’ avait été légitiment transposée. En d’autres termes, sur le plan des principes, si l’on reprend notre exemple, cela revient à imposer l’épouse sur 64,36% alors qu’elle ne perçoit en réalité que 33,37%. Cette position de l’administration fiscale est certes profondément inique mais, au-delà de cette dimension morale, elle méprise frontalement les principes élémentaires du droit fiscal de succession belge et européen”, souligne le fondateur du cabinet Van Elder et Associés, qui formule quatre critiques.
Quatre arguments
D’abord, les droits de succession sont par essence dus sur les biens successoraux qui sont effectivement recueillis par l’héritier ou le légataire, sauf exceptions spécialement encadrées par la loi. Or, le conjoint survivant est ici imposé sur une quotité d’actifs exorbitante qui ne lui est pas transmise, à savoir 30,99% de plus (64,36% moins 33,37%). Soit près du double de ce qu’il perçoit effectivement !
Ensuite, cette discordance entre la base imposable retenue par le droit fiscal et la valeur des droits civils réellement attribués constitue une violation du principe de légalité de l’impôt, dès lors que l’administration s’écarte de la réalité juridique qu’impose le droit civil, sans s’en tenir à l’expression d’une volonté affirmée du législateur fiscal en sens contraire.
“Tertio, imposer un contribuable sur une quotité de patrimoine qui est acquise à des tiers méconnaît manifestement le principe de la capacité contributive, insiste Gaëtan Van Elder. L’impôt prélevé n’est certainement plus proportionné aux moyens et aux ressources perçus par le conjoint survivant. À plus forte raison que ce patrimoine revient aux beaux-enfants sans bourse délier. La taxe perçue dans la mesure des droits non transmis à l’époux apparaît confiscatoire dès lors qu’elle entraîne une imposition indirecte décorrélée de tout sous-jacent patrimonial. Elle constitue ce faisant une violation manifeste du droit de propriété.”
Enfin, Me Van Elder évoque le principe d’égalité et de non-discrimination, qui constitue un garde-fou incontournable en droit positif fiscal. De quoi s’agit-il ? Il consiste tout simplement à ne pas traiter différemment des personnes se trouvant dans une situation identique. Et, très logiquement, à ne pas traiter de la même manière des personnes se trouvant dans des situations différentes, sans qu’apparaisse une justification raisonnable. “Or, le droit fiscal n’opère aucune distinction entre le conjoint en concours avec les descendants d’une précédente relation et le conjoint en concours avec ses propres descendants. Ces situations distinctes aux conséquences magistralement différentes sur un plan civil et économique sont pourtant traitées, sur un plan fiscal, de manière identique, sans la moindre justification.”
Une rectification prochainement ?
“En somme, le bonheur des descendants non communs fait le malheur du conjoint survivant, au détriment d’une réalité et d’une justice fiscale que les juridictions belges (et européennes) saisies de cette question devraient prochainement avoir à cœur de restaurer”, conclut-il.